Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

velure la plus ondoyante, la plus maniable que jamais femme de chambre ait peignée ; que les ignorants y courent, et tous reconnaîtront que le génie peut imprégner l’habit, l’armure, la robe, d’une pensée et y mettre un corps, tout aussi bien que l’homme imprime son caractère et les habitudes de sa vie à son enveloppe. La sculpture est la réalisation continuelle du fait qui s’est appelé pour la seule et unique fois dans la peinture : Raphaël ! La solution de ce terrible problème ne se trouve que dans un travail constant, soutenu, car les difficultés matérielles doivent être tellement vaincues, la main doit être si châtiée, si prête et obéissante, que le sculpteur puisse lutter âme à âme avec cette insaisissable nature morale qu’il faut transfigurer en la matérialisant. Si Paganini, qui faisait raconter son âme par les cordes de son violon, avait passé trois jours sans étudier, il aurait perdu, selon son expression, le registre de son instrument ; il désignait ainsi le mariage existant entre le bois, l’archet, les cordes et lui ; cet accord dissous, il serait devenu soudain un violoniste ordinaire. Le travail constant est la loi de l’art comme celle de la vie ; car l’art, c’est la création idéalisée. Aussi les grands artistes, les poëtes complets n’attendent-ils ni les commandes, ni les chalands, ils enfantent aujourd’hui, demain, toujours. Il en résulte cette habitude du labeur, cette perpétuelle connaissance des difficultés qui les maintient en concubinage avec la Muse, avec ses forces créatrices. Canova vivait dans son atelier, comme Voltaire a vécu dans son cabinet. Homère et Phidias ont dû vivre ainsi.

Wenceslas Steinbock était sur la route aride parcourue par ces grands hommes, et qui mène aux Alpes de la Gloire, quand Lisbeth l’avait enchaîné dans sa mansarde. Le bonheur, sous la figure d’Hortense, avait rendu le poëte à la paresse, état normal de tous les artistes, car leur paresse, à eux, est occupée. C’est le plaisir des pachas au sérail : ils caressent des idées, ils s’enivrent aux sources de l’intelligence. De grands artistes, tels que Steinbock, dévorés par la rêverie, ont été justement nommés des Rêveurs. Ces mangeurs d’opium tombent tous dans la misère ; tandis que, maintenus par l’inflexibilité des circonstances, ils eussent été de grands hommes. Ces demi-artistes sont d’ailleurs charmants, les hommes les aiment et les enivrent de louanges, ils paraissent supérieurs aux véritables artistes taxés de personnalité, de sauvagerie, de rébellion aux lois du monde. Voici pourquoi : Les grands hom-