Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

raffinées. Ma résolution est prise. Cette femme vous est funeste, elle vous mettra sur la paille. Je ne veux pas avoir l’air de tremper dans la ruine de ma famille ; moi qui ne suis là depuis trois ans que pour l’empêcher. Vous êtes trompé, mon cousin. Dites bien fermement que vous ne vous mêlerez pas de la nomination de cet ignoble monsieur Marneffe, et vous verrez ce qui arrivera ! L’on vous taille de fameuses étrivières pour ce cas-là.

Lisbeth releva sa petite cousine et l’embrassa passionnément.

— Ma chère Hortense, tiens bon, lui dit-elle à l’oreille.

La baronne embrassa sa cousine Bette avec l’enthousiasme d’une femme qui se voit vengée. La famille tout entière gardait un silence profond autour de ce père, assez spirituel pour savoir ce que dénotait ce silence. Une formidable colère passa sur son front et sur son visage en signes évidents ; toutes les veines grossirent, les yeux s’injectèrent de sang, le teint se marbra. Adeline se jeta vivement à genoux devant lui, lui prit les mains :  — Mon ami, mon ami, grâce !

— Je vous suis odieux ! dit le baron en laissant échapper le cri de sa conscience.

Nous sommes tous dans le secret de nos torts. Nous supposons presque toujours à nos victimes les sentiments haineux que la vengeance doit leur inspirer : et, malgré les efforts de l’hypocrisie, notre langage ou notre figure avoue au milieu d’une torture imprévue, comme avouait jadis le criminel entre les mains du bourreau.

— Nos enfants, dit-il pour revenir sur son aveu, finissent par devenir nos ennemis.

— Mon père… dit Victorin.

— Vous interrompez votre père !… reprit d’une voix foudroyante le baron en regardant son fils.

— Mon père, écoutez, dit Victorin d’une voix ferme et nette, la voix d’un député puritain. Je connais trop le respect que je vous dois pour en manquer jamais, et vous aurez certainement toujours en moi le fils le plus soumis et le plus obéissant.

Tous ceux qui assistent aux séances des Chambres reconnaîtront les habitudes de la lutte parlementaire dans ces phrases filandreuses avec lesquelles on calme les irritations en gagnant du temps.

— Nous sommes loin d’être vos ennemis, dit Victorin ; je me suis brouillé avec mon beau-père, monsieur Crevel, pour avoir re-