Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/270

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

c’est s’attendre à l’ingratitude ! La charité qui ne coûte rien, le ciel l’ignore…

— Il est permis, madame, aux saints d’aller à l’hôpital, ils savent que c’est, pour eux, la porte du ciel. Moi, je suis un mondain, je crains Dieu, mais je crains encore plus l’enfer de la misère. Être sans le sou, c’est le dernier degré du malheur dans notre ordre social actuel. Je suis de mon temps, j’honore l’argent !…

— Vous avez raison, dit Adeline, au point de vue du monde.

Elle se trouvait à cent lieues de la question, et elle se sentait, comme saint Laurent, sur un gril, en pensant à son oncle ; car elle le voyait se tirant un coup de pistolet ! Elle baissa les yeux, puis elle les releva sur Crevel pleins d’une angélique douceur, et non de cette provocante luxure, si spirituelle chez Valérie. Trois ans auparavant, elle eût fasciné Crevel par cet adorable regard.

— Je vous ai connu, dit-elle, plus généreux… Vous parliez de trois cent mille francs comme en parlent les grands seigneurs…

Crevel regarda madame Hulot, il la vit comme un lis sur la fin de sa floraison, il eut de vagues idées ; mais il honorait tant cette sainte créature qu’il refoula ces soupçons dans le côté libertin de son cœur.

— Madame, je suis toujours le même, mais un ancien négociant est et doit être grand seigneur avec méthode, avec économie, il porte en tout ses idées d’ordre. On ouvre un compte aux fredaines, on les crédite, on consacre à ce chapitre certains bénéfices, mais entamer son capital !… ce serait une folie. Mes enfants auront tout leur bien, celui de leur mère et le mien ; mais ils ne veulent sans doute pas que leur père s’ennuie, se moinifie et se momifie !… Ma vie est joyeuse ! Je descends gaiement le fleuve. Je remplis tous les devoirs que m’imposent la loi, le cœur et la famille, de même que j’acquittais scrupuleusement mes billets à l’échéance. Que mes enfants se comportent comme moi dans mon ménage, je serai content ; et, quant au présent, pourvu que mes folies, car j’en fais, ne coûtent rien à personne qu’aux gogos….. (pardon ! vous ne connaissez pas ce mot de Bourse) ils n’auront rien à me reprocher, et trouveront encore une belle fortune, à ma mort. Vos enfants n’en diront pas autant de leur père, qui carambole en ruinant son fils et ma fille…

Plus elle allait, plus la baronne s’éloignait de son but…

— Vous en voulez beaucoup à mon mari, mon cher Crevel, et