Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/341

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

car je vous ai, dans ce temps, fait observer que vous ne deviez pas vous lier ainsi.

— Oui, je m’en souviens, mon cher ami, dit Crevel honteux. Et, ma foi, tenez !… mes chers enfants, si vous vouliez bien vivre avec madame Crevel, vous n’auriez pas à vous repentir… Votre délicatesse, Victorin, me touche… On n’est pas impunément généreux avec moi… Voyons, sapristi ! accueillez bien votre belle-mère, venez à mon mariage !…

— Vous ne nous dites pas, mon père, quelle est votre fiancée ? dit Célestine.

— Mais c’est le secret de la comédie, reprit Crevel… Ne jouons pas à cache-cache ! Lisbeth a dû vous dire…

— Mon cher monsieur Crevel, répliqua la Lorraine, il est des noms qu’on ne prononce pas ici…

— Eh bien ! c’est madame Marneffe !

— Monsieur Crevel, répondit sévèrement l’avocat, ni moi ni ma femme nous n’assisterons à ce mariage, non par des motifs d’intérêt, car je vous ai parlé tout à l’heure avec sincérité. Oui, je serais très-heureux de savoir que vous trouverez le bonheur dans cette union ; mais je suis mu par des considérations d’honneur et de délicatesse que vous devez comprendre, et que je ne puis exprimer, car elles raviveraient des blessures encore saignantes ici…

La baronne fit un signe à la comtesse, qui, prenant son enfant dans ses bras, lui dit : — Allons, viens prendre ton bain, Wenceslas ! — Adieu, monsieur Crevel.

La baronne salua Crevel en silence, et Crevel ne put s’empêcher de sourire en voyant l’étonnement de l’enfant quand il se vit menacé de ce bain improvisé.

— Vous épousez, monsieur, s’écria l’avocat, quand il se trouva seul avec Lisbeth, avec sa femme et son beau-père, une femme chargée des dépouilles de mon père, et qui l’a froidement conduit où il est ; une femme qui vit avec le gendre, après avoir ruiné le beau-père ; qui cause les chagrins mortels de ma sœur… Et vous croyez qu’on nous verra sanctionnant votre folie par ma présence ? Je vous plains sincèrement, mon cher monsieur Crevel ! vous n’avez pas le sens de la famille, vous ne comprenez pas la solidarité d’honneur qui en lie les différents membres. On ne raisonne pas (je l’ai trop su malheureusement !) les passions. Les gens passionnés sont sourds comme ils sont aveugles. Votre fille Célestine a trop