Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/514

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Pons fit un signe affirmatif.

— Bien, c’te femme, pour lors, n’a pas réussi, rapport à son homme qui buvait tout et qu’est mort d’une imbustion spontanée, mais elle a été belle femme, faut tout dire, mais ça ne lui a pas profité, quoiqu’elle ait eu, dit-on, des avocats pour bons amis… Donc, dans la débine, elle s’a fait garde de femmes en couches, et n’alle demeure rue Barre-du-Bec. Elle n’a donc gardé comme ça n’un vieux monsieur, qui, sous votre respect, avait une maladie des foies lurinaires, qu’on le sondait comme un puits n’artésien, et qui voulait de si grands soins qu’elle couchait sur un lit de sangle dans la chambre de ce monsieur. C’est-y croyable ces choses-là. Mais vous me direz : les hommes, ça ne respecte rien ! tant ils sont égoïstes ! Enfin voilà qu’en causant avec lui, vous comprenez, elle était là toujours, elle l’égayait, elle lui racontait des histoires, elle le faisait jaser, comme nous sommes là, pas vrai, tous les deux à jacasser… Elle apprend que ses neveux, le malade avait des neveux, étaient des monstres, qu’ils lui donnaient des chagrins, et, fin finale, que sa maladie venait de ses neveux. Eh bien ! mon cher monsieur, elle a sauvé ce monsieur, et elle est devenue sa femme, et ils ont un enfant qu’est superbe, et que mame Bordevin, la bouchère de la rue Charlot qu’est parente à c’te dame, a été marraine… En voilà ed’la chance ! Moi, je suis mariée ! … Mais je n’ai pas d’enfant, et je puis le dire, c’est la faute à Cibot, qui m’aime trop ; car si je voulais… Suffit. Quéque nous serions devenus avec de la famille, moi et mon Cibot, qui n’avons pas n’un sou vaillant, n’après trente ans de probité, mon cher monsieur ! Mais ce qui me console, c’est que je n’ai pas n’un liard du bien d’autrui. Jamais je n’ai fait de tort à personne… Tenez, n’une supposition, qu’on peut dire, puisque dans six semaines vous serez sur vos quilles, à flâner sur le boulevard ; eh bien ! vous me mettriez sur votre testament ; eh bien ! je n’aurais de cesse que je n’aie trouvé vos héritiers pour leur rendre… tant j’ai tant peur du bien qui n’est pas acquis à la sueur de mon front. Vous me direz : « Mais, mame Cibot, ne vous tourmentez donc pas comme ça, vous l’avez bien gagné, vous avez soigné ces messieurs comme vos enfants, vous leur avez épargné mille francs par an… » Car, à ma place, savez-vous, monsieur, qu’il y a bien des cuisinières qui auraient déjà mille francs ed’placés. « — C’est donc justice si ce digne monsieur vous laisse un petit viager ! … » qu’on me dirait par supposition. Eh bien ! non !