Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/519

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il mourra de votre mort ! Mais je suis là, moi ! je le défendrai envers et contre tous ! … moi et Cibot.

— Chère madame Cibot, répondit Pons attendri par cet effroyable bavardage où le sentiment paraissait être naïf comme il l’est chez les gens du peuple ; que serais-je devenu sans vous et Schmucke ?

— Ah ! nous sommes bien vos seuls amis sur cette terre ! ça c’est bien vrai ! Mais deux bons cœurs valent toutes les familles… Ne me parlez pas de la famille ! C’est comme la langue, disait cet ancien acteur, c’est tout ce qu’il y a de meilleur et de pire… Où sont-ils donc, vos parents ? En avez-vous, des parents ? … je ne les ai jamais vus…

— C’est eux qui m’ont mis sur le grabat ! … s’écria Pons avec une profonde amertume.

— Ah ! vous avez des parents ! … dit la Cibot en se dressant comme si son fauteuil eût été de fer rougi subitement au feu. Ah bien ! ils sont gentils, vos parents ! Comment, voilà vingt jours, oui, ce matin, il y a vingt jours que vous êtes à la mort, et ils ne sont pas encore venus savoir de vos nouvelles ! C’est un peu fort de café, cela ! … Mais, à votre place, je laisserais plutôt ma fortune à l’hospice des Enfants-Trouvés que de leur donner un liard !

— Eh bien, ma chère madame Cibot, je voulais léguer tout ce que je possède à ma petite-cousine, la fille de mon cousin germain, le président Camusot, vous savez, le magistrat qui est venu un matin, il y a bientôt deux mois.

— Ah ! un petit gros, qui vous a envoyé ses domestiques vous demander pardon… de la sottise de sa femme… que la femme de chambre m’a fait des questions sur vous, une vieille mijaurée à qui j’avais envie d’épousseter son crispin en velours avec el manche de mon balai ! A-t-on jamais vu n’une femme de chambre porter n’un crispin en velours ! Non, ma parole d’honneur, le monde est renversé ! pourquoi fait-on des révolutions ? Dînez deux fois, si vous en avez le moyen, gueux de riches ! Mais je dis que les lois sont inutiles, qu’il n’y a plus rien de sacré, si Louis-Philippe ne maintient pas les rangs ; car enfin, si nous sommes tous égaux, pas vrai, monsieur, n’une femme de chambre ne doit pas avoir n’un crispin en velours, quand moi, mame Cibot, avec trente ans de probité, je n’en ai pas… Voilà-t-il pas quelque chose de beau ! On doit voir qui vous êtes. Une femme de chambre est une femme de chambre,