Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/525

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— Eh bien ! et vous ? demanda la portière, si je vous en fais vendre, que me donnerez-vous ?…

— Moitié dans les bénéfices, dit promptement Rémonencq.

— J’aime mieux une somme tout de suite, je ne suis pas dans le commerce, répondit la Cibot.

— Vous entendez joliment les affaires ! dit Élie Magus en souriant, vous feriez une fameuse marchande.

— Je lui offre de s’associer avec moi corps et biens, dit l’Auvergnat en prenant le bras potelé de la Cibot et tapant dessus avec une force de marteau. Je ne lui demande pas d’autre mise de fonds que sa beauté ! Vous avez tort de tenir à votre Turc de Cibot et à son aiguille ! Est-ce un petit portier qui peut enrichir une belle femme comme vous ? Ah ! quelle figure vous feriez dans une boutique sur le boulevard, au milieu des curiosités, jabotant avec les amateurs et les entortillant ! Laissez-moi là votre loge quand vous aurez fait votre pelote ici, et vous verrez ce que nous deviendrons à nous deux !

— Faire ma pelote ! dit la Cibot. Je suis incapable de prendre ici la valeur d’une épingle ! entendez-vous, Rémonencq ? s’écria la portière. Je suis connue dans le quartier pour une honnête femme, n’à !

Les yeux de la Cibot flamboyaient.

— Là, rassurez-vous ! dit Élie Magus. Cet Auvergnat a l’air de vous trop aimer pour vouloir vous offenser.

— Comme elle vous mènerait les pratiques ! s’écria l’Auvergnat.

— Soyez justes, mes fistons, reprit madame Cibot radoucie, et jugez vous-mêmes de ma situation ici !… Voilà dix ans que je m’extermine le tempérament pour ces deux vieux garçons-là, sans que jamais ils ne m’aient donné autre chose que des paroles… Rémonencq vous dira que je nourris ces deux vieux à forfait, où que je perds des vingt à trente sous par jour, que toutes mes économies y ont passé, par l’âme de ma mère !… la seule auteur de mes jours que j’aie connue ; mais aussi vrai que j’existe, et que voilà le jour qui nous éclaire, et que mon café me serve de poison si je mens d’une centime !… Eh bien ! en voilà un qui va mourir, pas vrai ? et c’est le plus riche de ces deux hommes de qui j’ai fait mes propres enfants !… Croireriez-vous, mon cher monsieur, que depuis vingt jours que je lui répète qu’il est à mort (car monsieur Pou-