Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/551

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gardait ce petit homme sec aux yeux verdâtres comme la pauvre Moresque, réputée fidèle à sa religion, devait regarder l’inquisiteur au moment où elle s’entendait condamner au feu.

— Vous dites donc, mon bon monsieur Fraisier, qu’en vous laissant faire, vous confiant le soin de mes intérêts, j’aurais quelque chose, sans rien craindre ?

— Je vous garantis trente mille francs, dit Fraisier en homme sûr de son fait.

— Enfin, vous savez combien j’aime le cher docteur Poulain, reprit-elle de sa voix la plus pateline, c’est lui qui m’a dit de venir vous trouver, et le digne homme ne m’envoyait pas ici pour m’entendre dire que je serais guillotinée comme une empoisonneuse…

Elle fondit en larmes, tant cette idée de guillotine l’avait fait frissonner, ses nerfs étaient en mouvement, la terreur lui serrait le cœur, elle perdit la tête. Fraisier jouissait de son triomphe. En apercevant l’hésitation de sa cliente, il se voyait privé de l’affaire, et il avait voulu dompter la Cibot, l’effrayer, la stupéfier, l’avoir à lui, pieds et poings liés. La portière, entrée dans ce cabinet, comme une mouche se jette dans une toile d’araignée, devait y rester, liée, entortillée, et servir de pâture à l’ambition de ce petit homme de loi. Fraisier voulait en effet trouver, dans cette affaire, la nourriture de ses vieux jours, l’aisance, le bonheur, la considération. La veille, pendant la soirée, tout avait été pesé mûrement, examiné soigneusement, à la loupe, entre Poulain et lui. Le docteur avait dépeint Schmucke à son ami Fraisier, et leurs esprits alertes avaient sondé toutes les hypothèses, examiné les ressources et les dangers. Fraisier, dans un élan d’enthousiasme, s’était écrié : — Notre fortune à tous deux est là-dedans ! Et il avait promis à Poulain une place de médecin en chef d’hôpital, à Paris, et il s’était promis à lui-même de devenir juge de paix de l’arrondissement.

Être juge de paix ! c’était pour cet homme plein de capacités, docteur en droit et sans chaussettes, une chimère si rude à la monture, qu’il y pensait, comme les avocats-députés pensent à la simarre et les prêtres italiens à la tiare. C’était une folie ! Le juge de paix, monsieur Vitel, devant qui plaidait Fraisier, était un vieillard de soixante-neuf ans, assez maladif, qui parlait de prendre sa retraite, et Fraisier parlait d’être son successeur à Poulain, comme Poulain lui parlait d’une riche héritière qu’il épousait après lui