Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/558

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et comment va-t-il, ce brave monsieur Pons ? demanda la portière.

— Mais il ne va pas du tout ; v’là deux mois qu’il ne sort pas de son lit, et il quittera la maison les pieds en avant, c’est sûr.

— Ce sera une perte…

— Oui. Je viens de sa part expliquer sa position à votre directeur ; tâchez donc, ma petite, que je lui parle…

— Une dame de la part de monsieur Pons !

Ce fut ainsi que le garçon de théâtre, attaché au service du cabinet, annonça madame Cibot, que la concierge du théâtre lui recommanda. Gaudissard venait d’arriver pour une répétition. Le hasard voulut que personne n’eût à lui parler, que les auteurs de la pièce et les acteurs fussent en retard ; il fut charmé d’avoir des nouvelles de son chef d’orchestre, il fit un geste napoléonien, et la Cibot entra.

Cet ancien commis-voyageur, à la tête d’un théâtre en faveur, trompait sa commandite, il la considérait comme une femme légitime. Aussi avait-il pris un développement financier qui réagissait sur sa personne. Devenu fort et gros, coloré par la bonne chère et la prospérité, Gaudissard s’était métamorphosé franchement en Mondor. — Nous tournons au Beaujon ! disait-il en essayant de rire le premier de lui-même. — Tu n’en es encore qu’à Turcaret, lui répondit Bixiou qui le remplaçait souvent auprès de la première danseuse du théâtre, la célèbre Héloïse Brisetout. En effet, l’ex-illustre Gaudissard exploitait son théâtre uniquement et brutalement dans son propre intérêt. Après s’être fait admettre comme collaborateur dans plusieurs ballets, dans des pièces, des vaudevilles, il en avait acheté l’autre part, en profitant des nécessités qui poignent les auteurs. Ces pièces, ces vaudevilles, toujours ajoutés aux drames à succès, rapportaient à Gaudissard quelques pièces d’or par jour. Il trafiquait, par procuration, sur les billets, et il s’en était attribué, comme feux de directeur, un certain nombre qui lui permettaient de dîmer les recettes. Ces trois natures de contributions directoriales, outre les loges vendues et les présents des actrices mauvaises qui tenaient à remplir des bouts de rôle, à se montrer en pages, en reines, grossissaient si bien son tiers dans les bénéfices, que les commanditaires, à qui les deux autres tiers étaient dévolus, touchaient à peine le dixième des produits. Néanmoins, ce dixième produisait encore un intérêt de quinze pour cent