Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/590

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— Ah ! pour Rémonencq, vous pouvez l’avoir vu, car il est venu me dire que mon pauvre Cibot va si mal, que je vais vous planter là pour reverdir. Mon Cibot avant tout, voyez-vous ! Quand mon homme est malade, moi, je ne connais plus personne. Tâchez de rester tranquille et de dormir une couple d’heures, car j’ai dit d’envoyer chercher monsieur Poulain, et je reviendrai avec lui… Buvez et soyez sage.

— Il n’y avait personne dans ma chambre, là, tout à l’heure quand je me suis éveillé ?…

— Personne ! dit-elle. Vous aurez vu monsieur Rémonencq dans vos glaces.

— Vous avez raison, madame Cibot, dit le malade en devenant doux comme un mouton.

— Eh bien ! vous voilà raisonnable, adieu, mon Chérubin, restez tranquille, je serai dans un instant à vous.

Quand Pons entendit fermer la porte de l’appartement, il rassembla ses dernières forces pour se lever, car il se dit :

— On me trompe ! on me dévalise ! Schmucke est un enfant qui se laisserait lier dans un sac !…

Et le malade, animé par le désir d’éclaircir la scène affreuse qui lui semblait trop réelle pour être une vision, put gagner la porte de sa chambre, il l’ouvrit péniblement, et se trouva dans son salon, où la vue de ses chères toiles, de ses statues, de ses bronzes florentins, de ses porcelaines, le ranima. Le collectionneur, en robe de chambre, les jambes nues, la tête en feu, put faire le tour des deux rues qui se trouvaient tracées par les crédences et les armoires dont la rangée partageait le salon en deux parties. Au premier coup d’œil du maître, il compta tout, et aperçut son musée au complet. Il allait rentrer, lorsque son regard fut attiré par un portrait de Greuze mis à la place du Chevalier de Malte, de Sébastien del Piombo. Le soupçon sillonna son intelligence comme un éclair zèbre un ciel orageux. Il regarda la place occupée par ses huit tableaux capitaux, et les trouva remplacés tous. Les yeux du pauvre homme furent tout à coup couverts d’un voile noir, il fut pris par une faiblesse, et tomba sur le parquet. Cet évanouissement fut si complet, que Pons resta là pendant deux heures, il fut trouvé par Schmucke, quand l’Allemand, réveillé, sortit de sa chambre pour venir voir son ami. Schmucke eut mille peines à relever le moribond et à le recoucher ; mais quand il adressa la parole à ce quasi-