Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/602

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ture représente là de grandes idées, elle formule un fait humain. L’agonie a sa sagesse. Souvent on voit de simples jeunes filles, à l’âge le plus tendre, avoir une raison centenaire, devenir prophètes, juger leur famille, n’être les dupes d’aucune comédie. C’est là la poésie de la Mort. Mais, chose étrange et digne de remarque ! on meurt de deux façons différentes. Cette poésie de la prophétie, ce don de bien voir, soit en avant, soit en arrière, n’appartient qu’aux mourants dont la chair seulement est atteinte, qui périssent par la destruction des organes de la vie charnelle. Ainsi les êtres attaqués, comme Louis XIV, par la gangrène ; les poitrinaires, les malades qui périssent comme Pons par la fièvre, comme madame de Mortsauf par l’estomac, ou comme les soldats par des blessures qui les saisissent en pleine vie, ceux-là jouissent de cette lucidité sublime, et font des morts surprenantes, admirables ; tandis que les gens qui meurent par des maladies pour ainsi dire intelligentielles, dont le mal est dans le cerveau, dans l’appareil nerveux qui sert d’intermédiaire au corps pour fournir le combustible de la pensée ; ceux-là meurent tout entiers. Chez eux, l’esprit et le corps sombrent à la fois. Les uns, âmes sans corps, réalisent les spectres bibliques ; les autres sont des cadavres. Cet homme vierge, ce Caton friand, ce juste presque sans péchés, pénétra tardivement dans les poches de fiel qui composaient le cœur de la présidente. Il devina le monde sur le point de le quitter. Aussi, depuis quelques heures, avait-il pris gaiement son parti, comme un joyeux artiste, pour qui tout est prétexte à charge, à raillerie. Les derniers liens qui l’unissaient à la vie, les chaînes de l’admiration, les nœuds puissants qui rattachaient le connaisseur aux chefs-d’œuvre de l’art, venaient d’être brisés le matin. En se voyant volé par la Cibot, Pons avait dit adieu chrétiennement aux pompes et aux vanités de l’art, à sa collection, à ses amitiés pour les créateurs de tant de belles choses, et il voulait uniquement penser à la mort, à la façon de nos ancêtres qui la comptaient comme une des fêtes du chrétien. Dans sa tendresse pour Schmucke, Pons essayait de le protéger du fond de son cercueil. Cette pensée paternelle fut la raison du choix qu’il fit du premier sujet de la danse, pour avoir du secours contre les perfidies qui l’entouraient, et qui ne pardonneraient sans doute pas à son légataire universel.

Héloïse Brisetout était une de ces natures qui restent vraies dans une position fausse, capable de toutes les plaisanteries possibles