Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/607

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mais c’est un homme à ne fléchir devant aucune puissance quand il est dans ses fonctions… Il n’a jamais eu de voleuse, c’est père de famille fossile ! et c’est adoré de sa femme, qui ne le trompe pas quoique femme de notaire… Que veux-tu ! il n’y a pas mieux dans Paris en fait de notaire. C’est patriarche ; ça n’est pas drôle et amusant comme était Cardot avec Malaga, mais ça ne lèvera jamais le pied, comme le petit Chose qui vivait avec Antonia ! J’enverrai mon homme demain matin à huit heures… Tu peux dormir tranquillement. D’abord, j’espère que tu guériras, et que tu nous feras encore de jolie musique ; mais, après tout, vois-tu, la vie est bien triste, les entrepreneurs chipotent, les rois carottent, les ministres tripotent, les gens riches économisotent… Les artistes n’ont plus de ça ! dit-elle en se frappant le cœur, c’est un temps à mourir… Adieu, vieux !

— Je te demande avant tout, Héloïse, la plus grande discrétion.

— Ce n’est pas une affaire de théâtre, dit-elle, c’est sacré, ça, pour une artiste.

— Quel est ton monsieur, ma petite ?

— Le maire de ton arrondissement, monsieur Beaudoyer, un homme aussi bête que feu Crevel ; car tu sais, Crevel, un des anciens commanditaires de Gaudissard, il est mort il y a quelques jours, et il ne m’a rien laissé, pas même un pot de pommade ! C’est ce qui me fait te dire que notre siècle est dégoûtant.

— Et de quoi est-il mort ?

— De sa femme !… S’il était resté avec moi, il vivrait encore ! Adieu, mon bon vieux ! je te parle de crevaison ; parce que je te vois dans quinze jours d’ici te promenant sur le boulevard et flairant de jolies petites curiosités, car tu n’es pas malade, tu as les yeux plus vifs que je ne te les ai jamais vus…

Et la danseuse s’en alla, sûre que son protégé Garangeot tenait pour toujours le bâton de chef d’orchestre. Garangeot était son cousin germain. Toutes les portes étaient entrebâillées, et tous les ménages sur pied regardèrent passer le premier sujet. Ce fut un événement dans la maison.

Fraisier, semblable à ces bouledogues qui ne lâchent pas le morceau où ils ont mis la dent, stationnait dans la loge auprès de la Cibot, quand la danseuse passa sous la porte cochère et demanda le cordon. Il savait que le testament était fait, il venait sonder les dispositions de la portière ; car maître Trognon, notaire, avait re-