Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/61

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La chambre de madame faisait exception à la dégradante incurie qui déshonorait l’appartement officiel où les rideaux étaient partout jaunes de fumée et de poussière, où l’enfant, évidemment abandonné à lui-même, laissait traîner ses joujoux partout. Situés dans l’aile qui réunissait, d’un seul côté seulement, la maison bâtie sur le devant de la rue, au corps-de-logis adossé au fond de la cour à la propriété voisine, la chambre et le cabinet de toilette de Valérie, élégamment tendus en perse, à meubles en bois de palissandre, à tapis en moquette, sentaient la jolie femme, et, disons-le, presque la femme entretenue. Sur le manteau de velours de la cheminée s’élevait la pendule alors à la mode. On voyait un petit Dunkerque assez bien garni, des jardinières en porcelaine chinoise luxueusement montées. Le lit, la toilette, l’armoire à glace, le tête-à-tête, les colifichets obligés signalaient les recherches ou les fantaisies du jour.

Quoique ce fût du troisième ordre en fait de richesse et d’élégance, que tout y datât de trois ans, un dandy n’eût rien trouvé à redire, sinon que ce luxe était entaché de bourgeoisie. L’art, la distinction, qui résulte des choses que le goût sait s’approprier, manquaient là totalement. Un docteur ès sciences sociales eût reconnu l’amant à quelques-unes de ces futilités de riche bijouterie qui ne peuvent venir que de ce demi-dieu, toujours absent, toujours présent chez une femme mariée.

Le dîner que firent le mari, la femme et l’enfant, ce dîner retardé de quatre heures, eût expliqué la crise financière que subissait cette famille, car la table est le plus sûr thermomètre de la fortune dans les ménages parisiens. Une soupe aux herbes et à l’eau de haricots, un morceau de veau aux pommes de terre, inondé d’eau rousse en guise de jus, un plat de haricots et des cerises d’une qualité inférieure, le tout servi et mangé dans des assiettes et des plats écornés avec l’argenterie peu sonore et triste du maillechort, était-ce un menu digne de cette jolie femme ? Le baron en eût pleuré, s’il en avait été témoin. Les carafes ternies ne sauvaient pas la vilaine couleur du vin pris au litre chez le marchand de vin du coin. Les serviettes servaient depuis une semaine. Enfin tout trahissait une misère sans dignité, l’insouciance de la femme et celle du mari pour la famille. L’observateur le plus vulgaire se serait dit, en les voyant, que ces deux êtres étaient arrivés à ce funeste moment où la nécessité de vivre fait chercher une friponnerie heureuse.