Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/613

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mon- Trognon, notaire, le démontrera ; sentant que je dois mourir prochainement de la maladie dont je suis atteint depuis les premiers jours de février dernier, j’ai dû, voulant disposer de mes biens, tracer mes dernières volontés, que voici :

» J’ai toujours été frappé des inconvénients qui nuisent aux chefs-d’œuvre de la peinture, et qui souvent ont entraîné leur destruction. J’ai plaint les belles toiles d’être condamnées à toujours voyager de pays en pays, sans être jamais fixées dans un lieu où les admirateurs de ces chefs-d’œuvre pussent aller les voir. J’ai toujours pensé que les pages vraiment immortelles des fameux maîtres devraient être des propriétés nationales, et mises incessamment sous les yeux des peuples comme la lumière, chef-d’œuvre de Dieu, sert à tous ses enfants.

» Or, comme j’ai passé ma vie à rassembler, à choisir quelques tableaux, qui sont de glorieuses œuvres des plus grands maîtres, que ces tableaux sont francs, sans retouche, ni repeints, je n’ai pas pensé sans chagrin que ces toiles, qui ont fait le bonheur de ma vie, pouvaient être vendues aux criées ; aller, les unes chez les Anglais, les autres en Russie, dispersées comme elles étaient avant leur réunion chez moi ; j’ai donc résolu de les soustraire à ces misères, ainsi que les cadres magnifiques qui leur servent de bordure, et qui tous sont dus à d’habiles ouvriers.

» Donc, par ces motifs, je donne et lègue au roi, pour faire partie du Musée du Louvre, les tableaux dont se compose ma collection, à la charge, si le legs est accepté, de faire à mon ami Wilhelm Schmucke une rente viagère de deux mille quatre cents francs.

» Si le roi, comme usufruitier du Musée, n’accepte pas ce legs avec cette charge, lesdits tableaux feront alors partie du legs que je fais à mon ami Schmucke de toutes les valeurs que je possède, à la charge de remettre la tête de Singe de Goya à mon cousin le président Camusot ; le tableau de fleurs d’Abraham Mignon, composé de tulipes, à monsieur Trognon, notaire, que je nomme mon exécuteur testamentaire, et de servir deux cents francs de rente à madame Cibot, qui fait mon ménage depuis dix ans.

» Enfin, mon ami Schmucke donnera la Descente de Croix, de Rubens, esquisse de son célèbre tableau d’Anvers, à ma paroisse, pour en décorer une chapelle, en remerciement des bontés de monsieur le vicaire Duplanty, à qui je dois de pouvoir mourir en chrétien et en catholique, » etc.