Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/625

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tique Sauvage, le pauvre monsieur est mort !… il vient de passer. Schmucke jeta un cri perçant, il sentit la main de Pons glacée qui se roidissait, et il resta les yeux fixes, arrêtés sur ceux de Pons, dont l’expression l’eût rendu fou, sans madame Sauvage, qui, sans doute accoutumée à ces sortes de scènes, alla vers le lit en tenant un miroir, elle le présenta devant les lèvres du mort, et comme aucune respiration ne vint ternir la glace, elle sépara vivement la main de Schmucke de la main du mort.

— Quittez-la donc, monsieur, vous ne pourriez plus l’ôter ; vous ne savez pas comme les os vont se durcir ! Ça va vite le refroidissement des morts. Si l’on n’apprête pas un mort pendant qu’il est encore tiède, il faut plus tard lui casser les membres…

Ce fut donc cette terrible femme qui ferma les yeux au pauvre musicien expiré ; puis, avec cette habitude des gardes-malades ; métier qu’elle avait exercé pendant dix ans, elle déshabilla Pons, l’étendit, lui colla les mains de chaque côté du corps, et lui ramena la couverture sur le nez, absolument comme un commis fait un paquet dans un magasin.

— Il faut un drap pour l’ensevelir ; où donc en prendre un ?… demanda-t-elle à Schmucke, que ce spectacle frappa de terreur.

Après avoir vu la Religion procédant avec son profond respect de la créature destinée à un si grand avenir dans le ciel, ce fut une douleur à dissoudre les éléments de la pensée, que cette espèce d’emballage où son ami était traité comme une chose.

Vaides gomme fus fitrez ! … répondit machinalement Schmucke.

Cette innocente créature voyait mourir un homme pour la première fois. Et cet homme était Pons, le seul ami, le seul être qui l’eût compris et aimé !…

— Je vais aller demander à madame Cibot où sont les draps, dit la Sauvage.

— Il va falloir un lit de sangle pour coucher cette dame, dit madame Cantinet à Schmucke.

Schmucke fit un signe de tête et fondit en larmes. Madame Cantinet laissa ce malheureux tranquille ; mais, au bout d’une heure, elle revint et lui dit :

— Monsieur, avez-vous de l’argent à nous donner pour acheter ?

Schmucke tourna sur madame Cantinet un regard à désarmer