Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/67

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sa protectrice, une complaisance qui l’eût conduit à quelque route bourbeuse et déshonorante où il se serait perdu. Il n’aurait certes pas travaillé, l’artiste ne serait pas éclos. Aussi, tout en déplorant l’âpre cupidité de la vieille fille, sa raison lui disait-elle de préférer ce bras de fer à la paresseuse et périlleuse existence que menaient quelques-uns de ses compatriotes.

Voici l’événement auquel était dû le mariage de cette énergie femelle et de cette faiblesse masculine, espèce de contre-sens assez fréquent, dit-on, en Pologne.

En 1833, mademoiselle Fischer, qui travaillait parfois la nuit quand elle avait beaucoup d’ouvrage, sentit, vers une heure du matin, une forte odeur d’acide carbonique, et entendit les plaintes d’un mourant. L’odeur du charbon et le râle provenaient d’une mansarde située au-dessus des deux pièces dont se composait son appartement ; elle supposa qu’un jeune homme nouvellement venu dans la maison, et logé dans cette mansarde à louer depuis trois ans, se suicidait. Elle monta rapidement, enfonça la porte avec sa force de Lorraine en y pratiquant une pesée, et trouva le locataire se roulant sur un lit de sangle dans les convulsions de l’agonie. Elle éteignit le réchaud. La porte ouverte, l’air afflua, l’exilé fut sauvé ; puis, quand Lisbeth l’eut couché comme un malade, qu’il fut endormi, elle put reconnaître les causes du suicide dans le dénûment absolu des deux chambres de cette mansarde où il n’existait qu’une méchante table, le lit de sangle et deux chaises.

Sur la table était cet écrit qu’elle lut :

« Je suis le comte Wenceslas Steinbock, né à Prelie, en Livonie.

» Qu’on n’accuse personne de ma mort, les raisons de mon suicide sont dans ces mots de Kosciusko : Finis Poloniæ !

» Le petit-neveu d’un valeureux général de Charles XII n’a pas voulu mendier. Ma faible constitution m’interdisait le service militaire, et j’ai vu hier la fin des cent thalers avec lesquels je suis venu de Dresde à Paris. Je laisse vingt-cinq francs dans le tiroir de cette table pour payer le terme que je dois au propriétaire.

» N’ayant plus de parents, ma mort n’intéresse personne. Je prie mes compatriotes de ne pas accuser le gouvernement français. Je ne me suis pas fait connaître comme réfugié, je n’ai rien demandé, je n’ai rencontré aucun exilé, personne ne sait à Paris que j’existe.