Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/32

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riant : — Lasche cettuy-ci, Breddif, il comptera pour ceulx que i’ai inconsidérément navrez là-bas… Souventes foys aussy les faisoyt-il bravement brancher à ung chesne ou accrocher à ses potences ; mais c’estoyt unicquement pour que iustice fust, et que la coustume ne s’en perdist point en ses chastellenies. Aussy le populaire estoyt-il saige et rengé comme nonnettes d’hier sur ses terroirs, et tranquille, veu qu’il le protégeoyt des routiers et malandrins, lesquels il n’espargnoyt iamais, sachant par expertize combien de playes faisoyent ces mauldites bestes de proye. Du reste, fort dévotieux, despeschant trez-bien toute chose, les offices comme le bon vin, il esmouchoyt les procez à la turcque, disoyt mille ioyeulsetez à gens qui perdoyent, et disnoyt avecques eulx pour iceulx consoler. Il faisoyt mettre les pendus en terre saincte, comme gens appartenant à Dieu, les trouvant assez puniz d’estre empeschez de vivre. Enfin, ne pressoyt les Iuifs qu’à tems et lorsqu’ils estoyent enflez d’uzure et de deniers ; il les laissoyt amasser leur buttin comme mousches à miel, disant qu’ils estoyent les meilleurs collecteurs d’impôts. Et ne les despouilloyt iamais que pour le prouffict et usaige des gens d’ecclise, du Roy, de la province, ou pour son service à luy.

Ceste débonnaireté lui attrayoyt l’affection et l’estime de ung chascun, grants et petits. S’il revenoyt soubriant de son siège iusticial, l’abbé de Marmoustiers, vieil comme luy, disoyt : — Ha ! ha ! messire, il y a doncques des penduz, que vous riez ainsy !… Et quand venant de la Roche-Corbon à Tours, il passoyt à cheval le long du faulxbourg Sainct-Symphorien, les petites garses disoyent : — C’est iour de iustice, vécy le bon homme Bruyn. Et, sans avoir paour, le resguardoyent chevaulchant sur une grant hacquenée blanche qu’il avoyt ramenée du Levant. Sur le pont, les ieunes gars s’interrompoyent de iouer aux billes, et lui crioyent : — Boniour, monsieur le Senneschal ! Et luy respondoyt en gaussant : — Amusez-vous bien, mes enfans, iusqu’à ce qu’on vous fouette. — Oui, monsieur le Senneschal.

Aussy fit-il le pays si content et si bien balayé de voleurs, que, l’an du grand desbordement de la Loyre, il n’y avoyt eu que vingt-deux malfaicteurs de pendus dans l’hyver, sans compter ung Iuif bruslé en la commune de Chasteau-Neuf, pour avoir desrobbé une hostie, ou achepté, dict-on, car il estoyt riche.

Un iour de l’an suyvant, environ la Sainct-Jean des foins, ou la