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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Peste, qu’est-ce donc, reprit de Marsay, pour que le cher vidame nous tienne rigueur en tenant parole à l’infante ? j’aurais bien du malheur si je ne la connaissais pas…

— J’ai pourtant été fat comme lui, dit le vidame en montrant de Marsay.

Après le dîner, qui fut très-agréable, et sur un ton soutenu de charmante médisance et de jolie corruption, Rastignac et de Marsay accompagnèrent le vidame et Victurnien à l’Opéra pour pouvoir les suivre chez mademoiselle des Touches. Ces deux roués y allèrent à l’heure calculée où devait finir la lecture d’une tragédie, ce qu’ils regardaient comme la chose la plus malsaine à prendre entre onze heures et minuit. Ils venaient pour espionner Victurnien et le gêner par leur présence : véritable malice d’écolier, mais aigrie par le fiel du dandy jaloux. Victurnien avait cette effronterie de page qui aide beaucoup à l’aisance ; aussi, en observant le nouveau-venu faisant son entrée, Rastignac s’étonna-t-il de sa prompte initiation aux belles manières du moment.

— Ce petit d’Esgrignon ira loin, n’est-ce pas ? dit-il à son compagnon.

— C’est selon, répondit de Marsay, mais il va bien.

Le vidame présenta le jeune comte à l’une des duchesses les plus aimables, les plus légères de cette époque, et dont les aventures ne firent explosion que cinq ans après. Dans tout l’éclat de sa gloire soupçonnée déjà de quelques légèretés, mais sans preuve, elle obtenait alors le relief que prête à une femme comme à un homme la calomnie parisienne : la calomnie n’atteint jamais les médiocrités qui enragent de vivre en paix. Cette femme était enfin la duchesse de Maufrigneuse, une demoiselle d’Uxelles, dont le beau-père existait encore, et qui ne fut princesse de Cadignan que plus tard. Amie de la duchesse de Langeais, amie de la vicomtesse de Beauséant, deux splendeurs disparues, elle était intime avec la marquise d’Espard, à qui elle disputait en ce moment la fragile royauté de la Mode. Une parenté considérable la protégea pendant long-temps ; mais elle appartenait à ce genre de femmes qui, sans qu’on sache à quoi, où, ni comment, dévoreraient les revenus de la Terre et ceux de la Lune si l’on pouvait les toucher. Son caractère ne faisait que se dessiner, de Marsay seul l’avait approfondi. En voyant le vidame amenant Victurnien à cette délicieuse personne, ce redouté dandy se pencha vers l’oreille de Rastignac.