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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

et lui se retrouvaient pour quelques heures après les fêtes de la Cour, après les bals les plus éclatants, les soirées les plus splendides. Les apparences étaient très-habilement sauvées. Ce réduit était une mansarde vulgaire en apparence, mais que les Péris de l’Inde avaient décorée, et où madame de Maufrigneuse était obligée en entrant de baisser sa tête chargée de plumes ou de fleurs. À la veille de périr, le comte avait voulu dire adieu à ce nid élégant, bâti par lui qui en avait fait une poésie digne de son ange, et où désormais les œufs enchantés, brisés par le malheur, n’écloraient plus en blanches colombes, en bengalis brillants, en flamants roses, en mille oiseaux fantastiques qui voltigent encore au-dessus de nos têtes pendant les derniers jours de la vie. Hélas ! dans trois jours il fallait fuir, les poursuites pour des lettres de change données à des usuriers étaient arrivées au dernier terme. Il lui passa par la cervelle une atroce idée : Fuir avec la duchesse, aller vivre dans un coin ignoré, au fond de l’Amérique du Nord ou du Sud ; mais fuir avec une fortune, et en laissant les créanciers nez à nez avec leurs titres. Pour réaliser ce plan, il suffisait de couper ce bas de lettre signée du Croisier, d’en faire un effet et de le porter chez les Keller. Ce fut un combat affreux, où il y eut des larmes répandues et où l’honneur de la race triompha, mais sous condition. Victurnien voulut être sûr de sa belle Diane, il subordonna l’exécution de son plan à l’assentiment qu’elle donnerait à leur fuite. Il vint chez la duchesse, rue du Faubourg-Saint-Honoré, il la trouva dans un de ses négligés coquets qui lui coûtaient autant de soins que d’argent, et qui lui permettaient de commencer son rôle d’ange dès onze heures du matin.

Madame de Maufrigneuse était à demi pensive : mêmes inquiétudes la dévoraient, mais elle les supportait avec courage. Parmi les organisations diverses que les physiologistes ont remarquées chez les femmes, il en est une qui a je ne sais quoi de terrible, qui comporte une vigueur d’âme, une lucidité d’aperçus, une promptitude de décision, une insouciance, ou plutôt un parti pris sur certaines choses dont s’effraierait un homme. Ces facultés sont cachées sous les dehors de la faiblesse la plus gracieuse. Ces femmes, seules entre les femmes, offrent la réunion ou plutôt le combat de deux êtres que Buffon ne reconnaissait existants que chez l’homme. Les autres femmes sont entièrement femmes ; elles sont entièrement tendres, entièrement mères, entièrement dévouées, entièrement nulles ou