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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

rons tête à l’orage. Ce sera beaucoup plus beau. Je suis sûre du succès.

Victurnien eut un éblouissement, il lui sembla que sa peau se dissolvait, et que son sang coulait de tous côtés.

— Qu’avez-vous ? s’écria la belle Diane en s’apercevant d’une hésitation que les femmes ne pardonnent jamais.

À toutes les fantaisies des femmes, les gens habiles doivent d’abord dire oui, et leur suggérer les motifs du non en leur laissant l’exercice de leur droit de changer à l’infini leurs idées, leurs résolutions et leurs sentiments. Pour la première fois, Victurnien eut un accès de colère, la colère des gens faibles et poétiques, orage mêlé de pluie, d’éclairs, mais sans tonnerre. Il traita fort mal cet ange sur la foi duquel il avait hasardé plus que sa vie, l’honneur de sa maison.

— Voilà donc, dit-elle, ce que nous trouvons après dix-huit mois de tendresse. Vous me faites mal, bien mal. Allez vous-en ! Je ne veux plus vous voir. J’ai cru que vous m’aimiez, vous ne m’aimez pas.

— Je ne vous aime pas, demanda-t-il foudroyé par ce reproche.

— Non, monsieur.

— Mais encore, s’écria-t-il. Ah ! si vous saviez ce que je viens de faire pour vous ?

— Et qu’avez-vous tant fait pour moi, monsieur, dit-elle, comme si l’on ne devait pas tout faire pour une femme qui a tant fait pour vous ?

— Vous n’êtes pas digne de le savoir, s’écria Victurnien enragé.

— Ah !

Après ce sublime ah ! Diane pencha sa tête, la mit dans sa main, et demeura froide, immobile, implacable, comme doivent être les anges qui ne partagent aucun des sentiments humains. Quand Victurnien trouva cette femme dans cette pose terrible, il oublia son danger. Ne venait-il pas de maltraiter la créature la plus angélique du monde ? il voulait sa grâce, il se mit aux pieds de Diane de Maufrigneuse et les baisa ; il l’implora, il pleura. Le malheureux resta là deux heures faisant mille folies, il rencontra toujours un visage froid, et des yeux où roulaient des larmes par moments, de grosses larmes silencieuses, aussitôt essuyées, afin d’empêcher l’indigne amant de les recueillir. La duchesse jouait une de ces douleurs qui rendent les femmes augustes et sacrées.