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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

été perdu. La maison du juge est une des plus jolies de la ville. Située presqu’en face de la Préfecture, elle a sur la rue principale une petite cour proprette, séparée de la chaussée par une vieille grille de fer contenue entre deux pilastres en brique. Entre chacun de ces pilastres et la maison voisine se trouvent deux autres grilles assises sur de petits murs également en brique et à hauteur d’appui. Cette cour, large de dix et longue de vingt toises, est divisée en deux massifs de fleurs par le pavé de brique qui mène de la grille à la porte de la maison. Ces deux massifs, renouvelés avec soin, offrent à l’admiration publique leurs triomphants bouquets en toute saison. Du bas de ces deux monceaux de fleurs, s’élance sur le pan des murs des deux maisons voisines un magnifique manteau de plantes grimpantes. Les pilastres sont enveloppés de chèvrefeuilles et ornés de deux vases en terre cuite, où des cactus acclimatés présentent aux regards étonnés des ignorants leurs monstrueuses feuilles hérissées de leurs piquantes défenses, qui semblent dues à une maladie botanique. La maison, bâtie en brique, dont les fenêtres sont décorées d’une marge cintrée également en brique, montre sa façade simple, égayée par des persiennes d’un vert vif. Sa porte vitrée permet de voir, par un long corridor au bout duquel est une autre porte vitrée, l’allée principale d’un jardin d’environ deux arpents. Les massifs de cet enclos s’aperçoivent souvent par les croisées du salon et de la salle à manger, qui correspondent entre elles comme celles du corridor. Du côté de la rue, la brique a pris depuis deux siècles une teinte de rouille et de mousse entremêlée de tons verdâtres en harmonie avec la fraîcheur des massifs et de leurs arbustes. Il est impossible au voyageur qui traverse la ville de ne pas aimer cette maison si gracieusement encaissée, fleurie, moussue jusque sur ses toits que décorent deux pigeons en poterie.

Outre cette vieille maison à laquelle rien n’avait été changé depuis un siècle, le juge possédait environ quatre mille livres de rente en terres. Sa vengeance, assez légitime, consistait à faire passer cette maison, les terres et son siège, à son fils Joseph, et la ville entière connaissait ses intentions. Il avait fait un testament en faveur de ce fils, par lequel il l’avantageait de tout ce que le Code permet à un père de donner à l’un de ses enfants, au détriment de l’autre. De plus, le bonhomme thésaurisait depuis quinze ans pour laisser à ce niais la somme nécessaire pour rembourser à son frère