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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

est faite ! Vous aurez une charmante femme et trente mille livres de rente en dot, sans compter quatre millions d’espérance dans une dizaine d’années.

En deux soirées, le premier Substitut avait été gagné. Le Président et monsieur Sauvager avaient tenu l’affaire secrète pour le vieux juge, pour le juge suppléant et pour le second substitut. Sûr de l’impartialité de Blondet en présence des faits, le Président avait la majorité sans compter Camusot. Mais tout manquait par la défection imprévue du juge d’Instruction. Le Président voulait un jugement de mise en accusation avant que le Procureur du Roi ne fût averti. Camusot ou le second Substitut n’allaient-ils pas le prévenir ?

Maintenant, en expliquant la vie intérieure du juge d’Instruction Camusot, peut-être apercevra-t-on les raisons qui permettaient à Chesnel de considérer ce jeune magistrat comme acquis aux d’Esgrignon, et qui lui avaient donné la hardiesse de le suborner en pleine rue. Camusot, fils de la première femme d’un marchand de soieries de la rue des Bourdonnais, objet de l’ambition de son père, avait été destiné à la magistrature. En épousant sa femme, il avait épousé la protection d’un huissier du Cabinet du Roi, protection sourde, mais efficace, qui lui avait déjà valu sa nomination de juge, et, plus tard, celle de Juge d’Instruction. Il n’avait pas eu plus de mille écus de rente constitués par ses père et mère à son contrat ; mademoiselle Thirion ne lui avait pas apporté plus de vingt mille francs de dot, c’était donc un pauvre ménage que le sien, car les appointements d’un juge en province ne s’élèvent pas au-dessus de quinze cents francs. Cependant les Juges d’Instruction ont un supplément d’environ mille francs à raison des dépenses et des travaux extraordinaires de leurs fonctions. Malgré les fatigues qu’elles donnent, ces places sont assez enviées ; mais elles sont révocables : aussi madame Camusot venait-elle de gronder son mari d’avoir découvert sa pensée au Président. Marie-Cécile-Amélie Thirion, depuis trois ans de mariage, s’était aperçue de la bénédiction de Dieu par la régularité de deux accouchements heureux, une fille et un garçon ; mais elle suppliait Dieu de ne plus la tant bénir. Encore quelques bénédictions, et sa gêne deviendrait misère. La fortune de monsieur Camusot le père devait se faire long-temps attendre. D’ailleurs cette riche succession ne pouvait pas donner plus de huit ou dix mille francs de rente aux enfants du négociant qui étaient quatre.