Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Chesnel rendit scène pour scène à la duchesse : il s’enveloppa de sa robe de chambre et tomba à ses pieds qu’il baisa, non sans demander pardon de l’oubli que la joie lui faisait commettre.

— Nous sommes sauvés, criait-il tout en donnant des ordres à Brigitte pour qu’elle préparât ce dont pouvait avoir besoin la duchesse après une nuit passée à courir la poste.

Il fit un appel au courage de la belle Diane, en lui démontrant la nécessité d’aller chez le Juge d’Instruction au petit jour, afin que personne ne fût dans le secret de cette démarche, et ne pût même présumer que la duchesse de Maufrigneuse fût venue.

— N’ai-je pas un passe-port en règle ? dit-elle en lui montrant une feuille où elle était désignée comme monsieur le vicomte Félix de Vandenesse, Maître des Requêtes et Secrétaire particulier du Roi. Ne sais-je pas bien jouer mon rôle d’homme ? reprit-elle en rehaussant les faces de sa perruque à la Titus et agitant sa cravache.

— Ah ! madame la duchesse, vous êtes un ange ! s’écria Chesnel les larmes aux yeux. (Elle devait toujours être un ange, même en homme !) Boutonnez votre redingote, enveloppez-vous jusqu’au nez dans votre manteau, prenez mon bras, et courons chez Camusot avant que personne ne puisse nous rencontrer.

— Je verrai donc un homme qui s’appelle Camusot ? dit-elle.

— Et qui a le nez de son nom, répondit Chesnel.

Quoiqu’il eût la mort au cœur, le vieux notaire jugea nécessaire d’obéir à tous les caprices de la duchesse, de rire quand elle rirait, de pleurer avec elle ; mais il gémit de la légèreté d’une femme qui, tout en accomplissant une grande chose, y trouvait néanmoins matière à plaisanter. Que n’aurait-il pas fait pour sauver le jeune homme ? Pendant que Chesnel s’habilla, madame de Maufrigneuse dégusta la tasse de café à la crème que Brigitte lui servit, et convint de la supériorité des cuisinières de province sur les Chefs de Paris, qui dédaignent ces menus détails si importants pour les gourmets. Grâce aux prévoyances que nécessitaient les goûts de son maître pour la bonne chère, Brigitte avait pu offrir à la duchesse une excellente collation. Chesnel et son gentil compagnon se dirigèrent vers la maison de monsieur et madame Camusot.

— Ah ! il y a une madame Camusot, dit la duchesse, l’affaire pourra s’arranger.