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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Tout est perdu, même l’honneur, dit le Chevalier en faisant un geste.

— Adieu, Victurnien, dit la duchesse en l’embrassant au front, nous ne nous verrons plus. Ce que vous avez de mieux à faire est de vivre sur vos terres, l’air de Paris ne vous vaut rien.

— Diane ? cria le jeune comte au désespoir.

— Monsieur, vous vous oubliez étrangement, dit froidement la duchesse en quittant son rôle d’homme et de maîtresse et redevenant non-seulement ange, mais encore duchesse, non-seulement duchesse, mais la Célimène de Molière.

La duchesse de Maufrigneuse salua dignement ces quatre personnages, et obtint du Chevalier la dernière larme d’admiration qu’il eût au service du beau sexe.

— Comme elle ressemble à la princesse Goritza ! s’écria-t-il à voix basse.

Diane avait disparu. Le fouet du postillon disait à Victurnien que le beau roman de sa première passion était fini. En danger, Diane avait encore pu voir dans le jeune comte son amant ; mais, sauvé, la duchesse le méprisait comme un homme faible qu’il était.

Six mois après, Camusot fut nommé juge-suppléant à Paris, et plus tard Juge d’Instruction. Michu devint Procureur du Roi. Le bonhomme Blondet passa Conseiller à la Cour royale, y resta le temps nécessaire pour prendre sa retraite et revint habiter sa jolie petite maison. Joseph Blondet eut le siége de son père au Tribunal pour le reste de ses jours, mais sans aucune chance d’avancement, et fut l’époux de mademoiselle Blandureau, qui s’ennuie aujourd’hui dans cette maison de briques et de fleurs, autant qu’une carpe dans un bassin de marbre. Enfin, Michu, Camusot reçurent la croix de la Légion-d’Honneur, et le vieux Blondet reçut celle d’officier. Quant au premier Substitut du Procureur du Roi, monsieur Sauvager, il fut envoyé en Corse au grand contentement de du Croisier qui, certes, ne voulait pas lui donner sa nièce.

Du Croisier, stimulé par le président du Ronceret, appela du jugement de non-lieu en Cour Royale et perdit. Dans tout le Département, les Libéraux soutinrent que le petit d’Esgrignon avait commis un faux. Les Royalistes, de leur côté, racontèrent les horribles trames que la vengeance avait fait ourdir à l’infâme du Croisier. Un duel eut lien entre du Croisier et Victurnien. Le hasard des armes fut pour l’ancien fournisseur, qui blessa dange-