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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

placées entre les misères du peuple et les grandeurs de l’aristocratie, et qui peuvent unir ainsi les modestes vertus du Bourgeois aux sublimes pensées du Noble, en les éclairant aux flambeaux d’une solide instruction.

Victurnien, jugé défavorablement à la cour, n’y pouvait plus trouver ni fille riche, ni emploi. Le Roi se refusa constamment à donner la pairie aux d’Esgrignon, seule faveur qui pût tirer Victurnien de la misère. Du vivant de son père, il était impossible de marier le jeune comte avec une héritière bourgeoise, il dut vivre mesquinement dans la maison paternelle avec les souvenirs de ses deux années de splendeur parisienne et d’amour aristocratique. Triste et morne, il végétait entre son père au désespoir, qui attribuait à une maladie de langueur l’état où il voyait son fils, et sa tante dévorée de chagrin. Chesnel n’était plus là. Le marquis mourut en 1830, après avoir vu le Roi Charles X passant à Nonancourt où ce grand d’Esgrignon alla, suivi de la noblesse valide du Cabinet des Antiques, lui rendre ses devoirs et se joindre au maigre cortége de la monarchie vaincue. Acte de courage qui semblera tout simple aujourd’hui, mais que l’enthousiasme de la Révolte rendit alors sublime !

— Les Gaulois triomphent ! fut le dernier mot du marquis.

La victoire de du Croisier fut alors complète, car le nouveau marquis d’Esgrignon, huit jours après la mort de son vieux père, accepta mademoiselle Duval pour femme, elle avait trois millions de dot, du Croisier et sa femme assuraient leur fortune à mademoiselle Duval au contrat. Du Croisier dit, pendant la cérémonie du mariage, que la maison d’Esgrignon était la plus honorable de toutes les maisons nobles de France. Vous voyez tous les hivers le marquis d’Esgrignon, qui doit réunir un jour plus de cent mille écus de rente, à Paris où il mène la joyeuse vie des garçons, n’ayant plus des grands seigneurs d’autrefois que son indifférence pour sa femme, de laquelle il n’a nul souci.

— Quant à mademoiselle d’Esgrignon, disait Émile Blondet à qui l’on doit les détails de cette aventure, si elle ne ressemble plus à la céleste figure entrevue pendant mon enfance, elle est certes, à soixante-sept ans, la plus douloureuse et la plus intéressante figure du Cabinet des Antiques où elle trône encore. Je l’ai vue au dernier voyage que je fis dans mon pays, pour y aller chercher les papiers nécessaires à mon mariage. Quand mon père apprit qui