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LE LYS DE LA VALLÉE.

Quel changement dans ce paysage si frais et si coquet avant mon sommeil ! Tout à coup je sautai hors de la barque et remontai le chemin pour tourner autour de Clochegourde d’où je croyais avoir vu sortir le comte. Je ne me trompais point, il allait le long d’une haie, et gagnait sans doute une porte donnant sur le chemin d’Azay, qui longe la rivière.

— Comment vous portez-vous ce matin, monsieur le comte ?

Il me regarda d’un air heureux, il ne s’entendait pas souvent nommer ainsi.

— Bien ? dit-il, mais vous aimez donc la campagne, pour vous promener par cette chaleur ?

— Ne m’a-t-on pas envoyé ici pour vivre en plein air ?

— Hé ! bien, voulez-vous venir voir couper mes seigles ?

— Mais volontiers, lui dis-je. Je suis, je vous l’avoue, d’une ignorance incroyable. Je ne distingue pas le seigle du blé, ni le peuplier du tremble ; je ne sais rien des cultures, ni des différentes manières d’exploiter une terre.

— Hé ! bien, venez, dit-il joyeusement en revenant sur ses pas. Entrez par la petite porte d’en haut.

Il remonta le long de sa haie en dedans, moi en dehors.

— Vous n’apprendriez rien chez monsieur de Chessel, me dit-il, il est trop grand seigneur pour s’occuper d’autre chose que de recevoir les comptes de son régisseur.

Il me montra donc ses cours et ses bâtiments, les jardins d’agrément, les vergers et les potagers. Enfin, il me mena vers cette longue allée d’acacias et de vernis du Japon, bordée par la rivière, où j’aperçus à l’autre bout, sur un banc, madame de Mortsauf occupée avec ses deux enfants. Une femme est bien belle sous ces menus feuillages tremblants et découpés ! Surprise peut-être de mon naïf empressement, elle ne se dérangea pas, sachant bien que nous irions à elle. Le comte me fit admirer la vue de la vallée, qui, de là, présente un aspect tout différent de ceux qu’elle avait déroulés selon les hauteurs où nous avions passé. Là, vous eussiez dit d’un petit coin de la Suisse La prairie, sillonnée par les ruisseaux qui se jettent dans l’Indre, se découvre dans sa longueur, et se perd en lointains vaporeux. Du côté de Montbazon, l’œil aperçoit une immense étendue verte, et sur tous les autres points se trouve arrêté par des collines, par des masses d’arbres, par des rochers. Nous allongeâmes le pas pour aller saluer madame de