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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

vous saurez quel est mon espoir. Enfin, dit-elle en paraissant laisser échapper un secret, ne quittez jamais la main de Madeleine que vous tenez en ce moment.

Elle s’était penchée à mon oreille pour me dire ces paroles qui prouvaient combien elle était occupée de mon avenir.

— Madeleine ? lui dis-je, jamais !

Ces deux mots nous rejetèrent dans un silence plein d’agitations. Nos âmes étaient en proie à ces bouleversements qui les sillonnent de manière à y laisser d’éternelles empreintes. Nous étions en vue d’une porte en bois par laquelle on entrait dans le parc de Frapesle, et dont il me semble encore voir les deux pilastres ruinés, couverts de plantes grimpantes et de mousses, d’herbes et de ronces. Tout à coup une idée, celle de la mort du comte, passa comme une flèche dans ma cervelle, et je lui dis : — Je vous comprends.

— C’est bien heureux, répondit-elle d’un ton qui me fit voir que je lui supposais une pensée qu’elle n’aurait jamais.

Sa pureté m’arracha une larme d’admiration que l’égoïsme de la passion rendit bien amère. En faisant un retour sur moi, je songeai qu’elle ne m’aimait pas assez pour souhaiter sa liberté. Tant que l’amour recule devant un crime, il nous semble avoir des bornes, et l’amour doit être infini. J’eus une horrible contraction de cœur.

— Elle ne m’aime pas, pensais-je.

Pour ne pas laisser lire dans mon âme, j’embrassai Madeleine sur ses cheveux.

— J’ai peur de votre mère, dis-je à la comtesse pour reprendre l’entretien.

— Et moi aussi, répondit-elle en faisant un geste plein d’enfantillage, mais n’oubliez pas de toujours la nommer madame la duchesse et de lui parler à la troisième personne. La jeunesse actuelle a perdu l’habitude de ces formes polies, reprenez-les ? faites cela pour moi. D’ailleurs, il est de si bon goût de respecter les femmes, quel que soit leur âge, et de reconnaître les distinctions sociales sans les mettre en question. Les honneurs que vous rendez aux supériorités établies ne sont-ils pas la garantie de ceux qui vous sont dus ? Tout est solidaire dans la Société. Le cardinal de la Rovère et Raphaël d’Urbin étaient autrefois deux puissances également révérées. Vous avez sucé dans vos lycées le lait de la Révolution, et vos idées politiques peuvent s’en ressentir, mais en avançant dans