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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

cevant Clochegourde, il me sembla que les huit mois qui venaient de s’écouler étaient un songe. Quand le comte dit à sa femme en me précédant : — Devinez qui je vous amène ?… Félix.

— Est-ce possible ! demanda-t-elle les bras pendants et le visage stupéfié.

Je me montrai, nous restâmes tous deux immobiles, elle clouée sur son fauteuil, moi sur le seuil de sa porte, nous contemplant avec l’avide fixité de deux amants qui veulent réparer par un seul regard tout le temps perdu ; mais honteuse d’une surprise qui laissait son cœur sans voile, elle se leva, je m’approchai.

— J’ai bien prié pour vous, me dit-elle après m’avoir tendu sa main à baiser.

Elle me demanda des nouvelles de son père ; puis elle devina ma fatigue, et alla s’occuper de mon gîte ; tandis que le comte me faisait donner à manger, car je mourais de faim. Ma chambre fut celle qui se trouvait au-dessus, de la sienne, celle, de sa tante ; elle m’y fit conduire par le comte, après avoir mis pied sur la première marche de l’escalier en délibérant sans doute avec elle-même si elle m’y accompagnerait ; je me retournai, elle rougit, me souhaita un bon sommeil, et se retira précipitamment. Quand je descendit pour dîner, j’appris les désastres, de Waterloo, la fuite de Napoléon, la marche des alliés sur Paris, et le retour probable des Bourbons. Ces événements étaient tout pour le comte, ils ne furent rien pour nous. Savez-vous la plus grande nouvelle, après les enfants caressés, car je ne vous parle pas de mes alarmes en voyant la comtesse pâle et maigrie ; je connaissais le ravage que pouvait faire un geste d’étonnement, et n’exprimai que du plaisir en la voyant. La grande nouvelle pour nous fut : « — Vous aurez de la glace ! » Elle s’était souvent dépitée l’année dernière de ne pas avoir d’eau assez fraîche pour moi qui, n’ayant pas d’autre boisson, l’aimais glacée. Dieu sait au prix de combien d’importunités elle avait fait construire une glacière ! Vous savez mieux que personne qu’il suffit à l’amour, d’un mot, d’un regard, d’une inflexion de voix, d’une attention légère en apparence ; son plus beau privilége est de se prouver par lui-même. Hé ! bien, son mot, son regard, son plaisir me révélèrent l’étendue de ses sentiments, comme je lui avais naguère dit tous les miens par ma conduite au trictrac. Mais les naïfs témoignages de sa tendresse abondèrent : le septième jour après mon arrivée, elle redevint fraîche ; elle pétilla de santé,