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LE LYS DE LA VALLÉE.

— Ne donnez vous pas trop d’importance à certaines choses que les femmes vulgaires mettent à haut prix et que vous devriez…

— Oh ! dit-elle en m’interrompant, leur en donnez-vous moins ?

Cette logique arrêta tout raisonnement.

— Hé ! bien, reprit-elle, sachez-le ! Oui, j’aurais la lâcheté d’abandonner ce pauvre vieillard dont je suis la vie ! Mais, mon ami, ces deux petites créatures si faibles qui sont en avant de nous, Madeleine et Jacques, ne resteraient-ils pas avec leur père ? Eh ! bien, croyez-vous, je vous le demande, croyez-vous qu’ils vécussent trois mois sous la domination insensée de cet homme ? Si en manquant à mes devoirs, il ne s’agissait que de moi… Elle laissa échapper un superbe sourire. Mais n’est-ce pas tuer mes deux enfants ? leur mort serait certaine. Mon Dieu ! s’écria-t-elle, pourquoi parlons-nous de ces choses ? Mariez-vous, et laissez-moi mourir !

Elle dit ces paroles d’un ton si amer, si profond, qu’elle étouffa la révolte de ma passion.

— Vous avez crié, là-haut, sous ce noyer ; je viens de crier, moi, sous ces aulnes, voilà tout. Je me tairai désormais.

— Vos générosités me tuent, dit-elle en levant les yeux au ciel.

Nous étions arrivés sur la terrasse, nous y trouvâmes le comte assis dans un fauteuil, au soleil. L’aspect de cette figure fondue, à peine animée par un sourire faible, éteignit les flammes sorties des cendres. Je m’appuyai sur la balustrade, en contemplant le tableau que m’offrait ce moribond, entre ses deux enfants toujours malingres, et sa femme pâlie par les veilles, amaigrie par les excessifs travaux, par les alarmes et peut-être par les joies de ces deux terribles mois, mais que les émotions de cette scène avaient colorée outre mesure. À l’aspect de cette famille souffrante, enveloppée des feuillages tremblotants à travers lesquels passait la grise lumière d’un ciel d’automne nuageux, je sentis en moi-même se dénouer les liens qui rattachent le corps à l’esprit. Pour la première fois, j’éprouvai ce spleen moral que connaissent, dit-on, les plus robustes lutteurs au fort de leurs combats, espèce de folie froide qui fait un lâche de l’homme le plus brave, un dévot d’un incrédule, qui rend indifférent à toute chose, même aux sentiments les plus vitaux, à l’honneur, à l’amour ; car le doute nous ôte la connaissance de nous-mêmes, et nous dégoûte de la vie. Pauvres créatures nerveuses que la richesse de votre organisation livre sans défense à je