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LE LYS DE LA VALLÉE.

quelques minutes au bas du mur, après avoir franchi la distance en droite ligne, comme s’il s’agissait d’une course au clocher. Elle entendit les bonds prodigieux de l’hirondelle du désert, et, quand je l’arrêtai net au coin de la terrasse, elle me dit : — Ah ! vous voilà !

Ces trois mots me foudroyèrent. Elle savait mon aventure. Qui la lui avait apprise ? sa mère, de qui plus tard elle me montra la lettre odieuse ! La faiblesse indifférente de cette voix, jadis si pleine de vie, la pâleur mate du son révélaient une douleur mûrie, exhalaient je ne sais quelle odeur de fleurs coupées sans retour. L’ouragan de l’infidélité, semblable à ces crues de la Loire qui ensablent à jamais une terre, avait passé sur son âme en faisant un désert là où verdoyaient d’opulentes prairies. Je fis entrer mon cheval par la petite porte ; il se coucha sur le gazon à mon commandement, et la comtesse, qui s’était avancée à pas lents, s’écria : — Le bel animal ! Elle se tenait les bras croisés pour que je ne prisse pas sa main, je devinai son intention. — Je vais prévenir monsieur de Mortsauf, dit-elle en me quittant.

Je demeurai debout, confondu, la laissant aller, la contemplant, toujours noble, lente, fière, plus blanche que je ne l’avais vue, mais gardant au front la jaune empreinte du sceau de la plus amère mélancolie, et penchant la tête comme un lys trop chargé de pluie.

— Henriette ! criai-je avec la rage de l’homme qui se sent mourir.

Elle ne se retourna point, elle ne s’arrêta pas, elle dédaigna de me dire qu’elle m’avait retiré son nom, qu’elle n’y répondait plus, elle marchait toujours. Je pourrai dans cette épouvantable vallée où doivent tenir des millions de peuples devenus poussière et dont l’âme anime maintenant la surface du globe, je pourrai me trouver petit au sein de cette foule pressée sous les immensités lumineuses qui l’éclaireront de leur gloire ; mais alors je serai moins aplati que je ne le fus devant cette forme blanche, montant comme monte dans les rues d’une ville quelque inflexible inondation, montant d’un pas égal à son château de Clochegourde, la gloire et le supplice de cette Didon chrétienne ! Je maudis Arabelle par une seule imprécation qui l’eût tuée si elle l’eût entendue, elle qui avait tout laissé pour moi, comme on laisse tout pour Dieu ! Je restai perdu dans un monde de pensées, en apercevant de tous côtés l’infini de la douleur. Je les vis alors descendant tous. Jacques courait avec l'im-