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LE LYS DE LA VALLÉE.

dit, et vous mettre ainsi dans tout le secret du dénoûment. Mais comment vous décrire les accompagnements de ces jolies paroles que vous savez ! C’était des folies comparables aux fantaisies les plus exorbitantes de nos rêves ; tantôt des créations semblables à celles de mes bouquets : la grâce unie à la force, la tendresse et ses molles lenteurs, opposées aux irruptions volcaniques de la fougue ; tantôt les gradations les plus savantes de la musique appliquées au concert de nos voluptés ; puis des jeux pareils à ceux des serpents entrelacés ; enfin, les plus caressants discours ornés des plus riantes idées, tout ce que l’esprit peut ajouter de poésie aux plaisirs des sens. Elle voulait anéantir sous les foudroiements de son amour impétueux les impressions laissées dans mon cœur par l’âme chaste et recueillie d’Henriette. La marquise avait aussi bien vu la comtesse, que madame de Mortsauf l’avait vue : elles s’étaient bien jugées toutes deux. La grandeur de l’attaque faite par Arabelle me révélait l’étendue de sa peur et sa secrète admiration pour sa rivale. Au matin, je la trouvai les yeux en pleurs et n’ayant pas dormi.

— Qu’as-tu ? lui dis-je.

— J’ai peur que mon extrême amour ne me nuise, répondit-elle. J’ai tout donné. Plus adroite que je ne le suis, cette femme possède quelque chose en elle que tu peux désirer. Si tu la préfères, ne pense plus à moi : je ne t’ennuierai point de mes douleurs, de mes remords, de mes souffrances ; non, j’irai mourir loin de toi, comme une plante sans son vivifiant soleil.

Elle sut m’arracher des protestations d’amour qui la comblèrent de joie. Que dire en effet à une femme qui pleure au matin ? Une dureté me semble alors infâme. Si nous ne lui avons pas résisté la veille, le lendemain, ne sommes-nous pas obligés à mentir, car le Code-Homme nous fait en galanterie un devoir du mensonge.

— Hé ! bien, je suis généreuse, dit-elle en essuyant ses larmes, retourne auprès d’elle, je ne veux pas te devoir à la force de mon amour, mais à ta propre volonté. Si tu reviens ici, je croirai que tu m’aimes autant que je t’aime, ce qui m’a toujours paru impossible.

Elle sut me persuader de retourner à Clochegourde. La fausseté de la situation dans laquelle j’allais entrer ne pouvait être devinée par un homme gorgé de bonheur. En refusant d’aller à Clochegourde, je donnais gain de cause à lady Dudley sur Henriette. Arabelle m’emmenait alors à Paris. Mais y aller, n’était-ce pas in-