Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

une Église dissolue. L’abbé de Sponde s’était donc jeté dans le sentier depuis longtemps abandonné que pratiquaient jadis les solitaires pour aller au ciel : il menait une vie ascétique, sans emphase, sans triomphe extérieur. Il dérobait au monde ses œuvres de charité, ses continuelles prières et ses mortifications ; il pensait que les prêtres devaient tous agir ainsi pendant la tourmente et il prêchait d’exemple. Tout en offrant au monde un visage calme et riant il avait fini par se détacher entièrement des intérêts mondains : il songeait exclusivement aux malheureux, aux besoins de l’Église et à son propre salut. Il avait laissé l’administration de ses biens à sa nièce, qui lui en remettait les revenus, et à laquelle il payait une modique pension afin de pouvoir dépenser le surplus en aumônes secrètes et en dons à l’Église. Toutes les affections de l’abbé s’étaient concentrées sur sa nièce qui le regardait comme un père ; mais c’était un père distrait, ne concevant point les agitations de la Chair, et remerciant Dieu de ce qu’il maintenait sa chère fille dans le célibat ; car il avait depuis sa jeunesse adopté le système de saint Jean-Chrysostome qui a écrit que « l’état de virginité était autant au-dessus de l’état de mariage que l’Ange était au-dessus de l’Homme. » Habituée à respecter son oncle, mademoiselle Cormon n’osait pas l’initier aux désirs que lui inspirait un changement d’état. Le bonhomme, accoutumé de son côté au train de la maison, eût d’ailleurs peu goûté l’introduction d’un maître au logis. Préoccupé par les misères qu’il soulageait, perdu dans les abîmes de la prière, l’abbé de Sponde avait souvent des distractions que les gens de sa société prenaient pour des absences ; peu causeur, il avait un silence affable et bienveillant. C’était un homme de haute taille, sec, à manières graves, solennelles, dont le visage exprimait des sentiments doux, un grand calme intérieur, et qui, par sa présence imprimait à cette maison une autorité sainte. Il aimait beaucoup le voltairien chevalier de Valois. Ces deux majestueux débris de la Noblesse et du Clergé, quoique de mœurs différentes se reconnaissaient à leurs traits généraux ; d’ailleurs le chevalier était aussi onctueux avec l’abbé de Sponde qu’il était paternel avec ses grisettes. Quelques personnes pourraient croire que mademoiselle Cormon cherchait tous les moyens d’arriver à son but ; que parmi les légitimes artifices permis aux femmes, elle s’adressait à la toilette, qu’elle se décolletait, qu’elle déployait les coquetteries négatives d’un magnifique port d’armes. Mais point ! Elle