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LES RIVALITÉS: LA VIEILLE FILLE.

— Moi, dit-elle, je croyais que monsieur du Bousquier ne s’occupait que d’enfantillages.

Dans les circonstances présentes, ce mot eut un prodigieux succès. Mademoiselle Cormon obtint un beau triomphe : elle fit choir la princesse Goritza le nez contre la table. Le chevalier, qui ne s’attendait point à un à-propos chez sa Dulcinée, fut si émerveillé qu’il ne trouva pas tout d’abord de mot assez élogieux, il applaudit sans bruit, comme on applaudit aux Italiens, en simulant du bout des doigts un applaudissement.

— Elle est adorablement spirituelle, dit-il à madame Granson. J’ai toujours prétendu qu’un jour elle démasquerait son artillerie.

— Mais dans l’intimité elle est charmante, répondit la veuve.

— Dans l’intimité, madame, toutes les femmes ont de l’esprit, reprit le chevalier.

Ce rire homérique une fois apaisé, mademoiselle Cormon demanda la raison de son succès. Alors commença le forte du cancan. Du Bousquier fut traduit sous les traits d’un père Gigogne célibataire, d’un monstre qui, depuis quinze ans, entretenait à lui seul l’hospice des Enfants-Trouvés ; l’immoralité de ses mœurs se dévoilait enfin ! elle était digne de ses saturnales parisiennes, etc., etc. Conduite par le chevalier de Valois, le plus habile chef d’orchestre en ce genre, l’ouverture de ce cancan fut magnifique.

— Je ne sais pas, dit-il d’un air plein de bonhomie, ce qui pourrait empêcher un du Bousquier d’épouser une mademoiselle Suzanne Je ne sais qui ; comment la nommez-vous ? Suzette ! Quoique logé chez madame Lardot, je ne connais ces petites filles que de vue. Si cette Suzon est une grande belle fille, impertinente, œil gris, taille fine, petit pied, à laquelle j’ai fait à peine attention, mais dont la démarche m’a paru fort insolente, elle est de beaucoup supérieure comme manières à du Bousquier. D’ailleurs, Suzanne a la noblesse de la beauté ; sous ce rapport, ce mariage serait pour elle une mésalliance. Vous savez que l’empereur Joseph eut la curiosité de voir à Lucienne la du Barry, il lui offrit son bras pour la promener ; la pauvre fille, surprise de tant d’honneur, hésitait à le prendre : — La beauté sera toujours reine, lui dit l’empereur. Remarquez que c’était un Allemand d’Autriche, ajouta le chevalier. Mais, croyez-moi, l’Allemagne, qui passe ici pour très-rustique, est un pays de noble chevalerie et de belles manières, surtout vers la Pologne et la Hongrie, où il se trouve des…