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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Cette phrase finale frappa l’oreille de l’heureux jeune homme à la manière de ces bruits qui réveillent en sursaut.

— Quoi, mademoiselle ? répondit-il.

Mademoiselle Cormon se leva brusquement en regardant du Bousquier qui ressemblait en ce moment à ce gros dieu de la fable que la République mettait sur ses écus ; elle s’avança vers madame Granson et lui dit à l’oreille : — Ma pauvre amie, votre fils est idiot ! Le lycée l’a perdu, dit-elle en se souvenant de l’insistance avec laquelle le chevalier de Valois avait parlé de la mauvaise éducation des lycées.

Quel coup de foudre ! À son insu le pauvre Athanase avait eu l’occasion de jeter ses brandons sur les sarments amassés dans le cœur de la vieille fille ; s’il l’eût écoutée, il aurait pu faire comprendre sa passion : car, dans l’agitation où se trouvait mademoiselle Cormon, un seul mot suffisait, mais cette stupide avidité qui caractérise l’amour jeune et vrai l’avait perdu, comme quelquefois un enfant plein de vie se tue par ignorance.

— Qu’as-tu donc dit à mademoiselle Cormon ? demanda madame Granson à son fils.

— Rien.

— Rien, j’expliquerai cela ! se dit-elle en remettant à demain les affaires sérieuses, car elle attacha peu d’importance à ce mot en croyant du Bousquier perdu dans l’esprit de la vieille fille.

Bientôt les quatre tables se garnirent de leurs seize joueurs. Quatre personnes s’intéressèrent à un piquet, le jeu le plus cher et auquel il se perdait beaucoup d’argent. Monsieur Choisnel, le Procureur du roi et deux dames allèrent faire un trictrac dans le cabinet des laques rouges. Les girandoles furent allumées ; puis la fleur de la société de mademoiselle Cormon vint s’épanouir devant la cheminée, sur les bergères, autour des tables, après que chaque nouveau couple arrivé eut dit à mademoiselle Cormon : — Vous allez donc demain au Prébaudet ?

— Mais il le faut bien, répondait-elle.

Généralement la maîtresse de la maison parut préoccupée. Madame Granson, la première, s’aperçut de l’état peu naturel où se trouvait la vieille fille : mademoiselle Cormon pensait.

— À quoi songez-vous, cousine ? lui dit-elle enfin en la trouvant assise dans le boudoir.

— Je pense, répondit-elle, à cette pauvre fille. Ne suis-je pas