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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Mais, cousine, avec quoi aime-t-on donc, si l’on n’aime pas avec le cœur ?

Ici madame Granson se dit en elle-même ce qu’avait pensé le chevalier de Valois : — Cette pauvre cousine est par trop innocente, cela passe la permission. — Chère enfant, reprit-elle à haute voix, il me semble que les enfants ne se conçoivent pas uniquement par l’esprit.

— Mais si, ma chère, car la Sainte-Vierge…

— Mais, ma bonne, du Bousquier n’est pas le Saint-Esprit !

— C’est vrai, répondit la vieille fille, c’est un homme ! un homme que sa tournure rend assez dangereux pour que ses amis l’engagent à se marier.

— Vous pouvez, cousine, amener ce résultat…

— Hé ! comment ? dit la vieille fille avec l’enthousiasme de la charité chrétienne.

— Ne le recevez plus jusqu’à ce qu’il ait pris une femme ; vous devez aux bonnes mœurs et à la religion de manifester en cette circonstance une exemplaire réprobation.

— À mon retour du Prébauset, nous reparlerons de ceci, ma chère madame Granson, je consulterai mon oncle et l’abbé Couturier, dit mademoiselle Cormon en rentrant dans le salon qui se trouvait en ce moment à son plus haut degré d’animation.

Les lumières, les groupes de femmes bien mises, le ton solennel, l’air magistral de cette assemblée ne rendaient pas mademoiselle Cormon moins fière que sa société de cette tenue aristocratique. Pour beaucoup de gens, on ne voyait pas mieux à Paris dans les meilleures compagnies. Dans ce moment, du Bousquier, qui jouait au wisth avec monsieur de Valois et deux vieilles dames, madame du Couderai et madame du Ronceret, étant l’objet d’une curiosité sourde.

Il venait quelques jeunes femmes qui, sous prétexte de regarder jouer, le contemplaient si singulièrement, quoiqu’à la dérobée, que le vieux garçon finit par croire à quelque oubli dans sa toilette.

— Mon faux toupet serait-il de travers ? se dit-il en éprouvant une de ces inquiétudes capitales auxquelles sont soumis les vieux garçons.

Il profita d’un mauvais coup qui terminait un septième rubber, pour quitter la table.

— Je ne peux pas toucher une carte sans perdre, dit-il, je suis décidément trop malheureux.