Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

En un moment, chacun sut que Lucien avait été surpris aux genoux de Naïs. Monsieur de Chandour, heureux de l’importance que lui donnait cette affaire, alla d’abord raconter le grand événement au Cercle, puis de maison en maison. Du Châtelet s’empressa de dire partout qu’il n’avait rien vu ; mais en se mettant ainsi en dehors du fait, il excitait Stanislas à parler, il lui faisait enchérir sur les détails ; et Stanislas, se trouvant spirituel, en ajoutait de nouveaux à chaque récit. Le soir, la société afflua chez Amélie ; car le soir les versions les plus exagérées circulaient dans l’Angoulême noble, où chaque narrateur avait imité Stanislas. Femmes et hommes étaient impatients de connaître la vérité. Les femmes qui se voilaient la face en criant le plus au scandale, à la perversité, étaient précisément Amélie, Zéphirine, Fifine, Lolotte, qui toutes étaient plus ou moins grevées de bonheurs illicites. Le cruel thème se variait sur tous les tons.

— Eh ! bien, disait l’une, cette pauvre Naïs, vous savez ? Moi, je ne le crois pas, elle a devant elle toute une vie irréprochable ; elle est beaucoup trop fière pour être autre chose que la protectrice de monsieur Chardon. Mais si cela est, je la plains de tout mon cœur.

— Elle est d’autant plus à plaindre, qu’elle se donne un ridicule affreux ; car elle pourrait être la mère de monsieur Lulu, comme l’appelait Jacques. Ce poétriau a tout au plus vingt-deux ans, et Naïs, entre nous soit dit, a bien quarante ans.

— Moi, disait Châtelet, je trouve que la situation même dans laquelle était monsieur de Rubempré prouve l’innocence de Naïs. On ne se met pas à genoux pour redemander ce qu’on a déjà eu.

— C’est selon ! dit Francis d’un air égrillard qui lui valut de Zéphirine une œillade improbative.

— Mais dites-nous donc bien ce qui en est ? demandait-on à Stanislas en se formant en comité secret dans un coin du salon.

Stanislas avait fini par composer un petit conte plein de gravelures, et l’accompagnait de gestes et de poses qui incriminaient prodigieusement la chose.

— C’est incroyable, répétait-on.

— À midi, disait l’une.

— Naïs aurait été la dernière que j’eusse soupçonnée.

— Que va-t-elle faire ?

Puis des commentaires, des suppositions infinies !… Du Châtelet