Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/475

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la main et la baisa saintement. Ce fut un moment délicieux, une de ces roses d’amour et de tendresse qui fleurissent au bord des plus arides chemins de la misère et quelquefois au fond des précipices.

Ève redoubla de courage en voyant le malheur redoubler de furie. La grandeur de son mari, sa naïveté d’inventeur, les larmes qu’elle surprit parfois dans les yeux de cet homme de cœur et de poésie, tout développa chez elle une force de résistance inouïe. Elle eut encore une fois recours au moyen qui lui avait déjà si bien réussi. Elle écrivit à monsieur Métivier d’annoncer la vente de l’imprimerie en lui offrant de le payer sur le prix qu’on en obtiendrait et en le suppliant de ne pas ruiner David en frais inutiles. Devant cette lettre sublime Métivier fit le mort : son premier commis répondit qu’en l’absence de monsieur Métivier il ne pouvait pas prendre sur lui d’arrêter les poursuites. Telle n’était pas la coutume de son patron en affaires. Ève proposa de renouveler les effets en payant tous les frais, et le commis y consentit, pourvu que le père de David Séchard donnât sa garantie par un aval. Ève se rendit alors à pied à Marsac, accompagnée de sa mère et de Kolb. Elle affronta le vieux vigneron, elle fut charmante, elle réussit à dérider cette vieille figure ; mais, quand, le cœur tremblant, elle parla de l’aval, elle vit un changement complet et soudain sur cette face soûlographique.

— Si je laissais à mon fils la liberté de mettre la main à mes lèvres, au bord de ma caisse, il la plongerait jusqu’au fond de mes entrailles !… s’écria-t-il. Les enfants mangent tous à même dans la bourse paternelle. Et comment ai-je fait, moi ? Je n’ai jamais coûté un liard à mes parents. Votre imprimerie est vide. Les souris et les rats sont seuls à y faire des impressions… Vous êtes belle, vous, je vous aime ; vous êtes une femme travailleuse et soigneuse. Mais mon fils !… Savez-vous ce qu’est David ?… Eh ! bien, c’est un fainéant de savant. Si je l’avais lairré comme on m’a lairré, sans se connaître aux lettres, et que j’en eusse fait un ours, comme son père, il aurait des rentes… Oh ! c’est ma croix, ce garçon-là, voyez-vous ! Et, par malheur, il est bien unique, car sa retiration n’existera jamais ! Enfin il vous rend malheureuse… (Ève protesta par un geste de dénégation absolue.) — Oui, reprit-il en répondant à ce geste, vous avez été obligée de prendre une nourrice, le chagrin vous a tari votre lait. Je sais tout, allez ! vous êtes au tribunal et tambourinés par la ville. Je n’étais qu’un