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262 II. Livre. Scènes de la vie de province.  

santerie le désastre de ses châteaux en Anjou, et aborda sa tante fort gaiement.

— Avez-vous bien passé la nuit, ma chère tante ? Et vous, ma cousine ?

— Bien, monsieur ; mais vous, dit madame Grandet.

— Moi, parfaitement.

— Vous devez avoir faim, mon cousin, dit Eugénie ; mettez-vous à table.

— Mais je ne déjeune jamais avant midi, le moment où je me lève. Cependant, j’ai si mal vécu en route, que je me laisserai faire. D’ailleurs… Il tira la plus délicieuse montre plate que Breguet ait faite. Tiens, mais il est onze heures, j’ai été matinal.

— Matinal ?… dit madame Grandet.

— Oui, mais je voulais ranger mes affaires. Eh ! bien, je mangerais volontiers quelque chose, un rien, une volaille, un perdreau.

— Sainte Vierge ! cria Nanon en entendant ces paroles.

— Un perdreau, se disait Eugénie, qui aurai voulu payer un perdreau de tout son pécule.

— Venez vous asseoir, lui dit sa tante.

Le dandy se laissa aller sur le fauteuil comme une jolie femme qui se pose sur son divan. Eugénie et sa mère prirent des chaises et se mirent près de lui devant le feu.

— Vous vivez toujours ici ? leur dit Charles en trouvant la salle encore plus laide au jour qu’elle ne l’était aux lumières.

— Toujours, répondit Eugénie en le regardant, excepté pendant les vendanges. Nous allons alors aider Nanon, et logeons tous à l’abbaye de Noyers.

— Vous ne vous promenez jamais ?

— Quelquefois le dimanche après vêpres, quand il fait beau, dit madame Grandet, nous allons sur le pont, ou voir les foins quand on les fauche.

— Avez-vous un théâtre ?

— Aller au spectacle, s’écria madame Grandet, voir des comédiens ! Mais, monsieur, ne savez-vous pas que c’est un péché mortel ?

— Tenez, mon cher monsieur, dit Nanon en apportant les œufs, nous vous donnerons les poulets à la coque.

— Oh ! des œufs frais, dit Charles qui semblable aux gens