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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

travaillé. La glace de la cheminée offre cet encadrement à pâtes appliquées, d’un effet mesquin, vulgaire quoique nouveau. Mais le génie du tapissier éclate dans les plis rayonnants d’une étoffe rouge qui partent d’une patère mise au centre du devant de cheminée, un poème romantique composé tout exprès pour les Rogron, qui s’extasient en vous le montrant. Au milieu du plafond pend un lustre soigneusement enveloppé dans un suaire de percaline verte, et avec raison : il est du plus mauvais goût ; le bronze, d’un ton aigre, a pour ornements des filets plus détestables en or bruni. Dessous, une table à thé, ronde, à marbre plus que jamais portor, offre un plateau moiré métallique où reluisent des tasses en porcelaine peinte, quelles peintures ! et groupées autour d’un sucrier en cristal taillé si crânement que nos petites filles ouvriront de grands yeux en admirant et les cercles de cuivre doré qui le bordent, et ces côtes tailladées comme un pourpoint du moyen-âge, et la pince à prendre le sucre, de laquelle on ne se servira probablement jamais. Ce salon a pour tenture un papier rouge qui joue le velours, encadré par panneaux dans des baguettes de cuivre agrafées aux quatre coins par des palmettes énormes. Chaque panneau est surorné d’une lithochromie encadrée dans des cadres surchargés de festons en pâte qui simulent nos belles sculptures en bois. Le meuble, en casimir et en racine d’orme, se compose classiquement de deux canapés, deux bergères, six fauteuils et six chaises. La console est embellie d’un vase en albâtre dit à la Médicis, mis sous verre, et de cette magnifique cave à liqueurs si célèbre. Nous avons été suffisamment prévenus qu’il n’en existe pas une seconde à Provins ! Chaque embrasure de fenêtre, où sont drapés de magnifiques rideaux en soie rouge doublés de rideaux en tulle, contient une table à jouer. Le tapis est d’Aubusson. Les Rogron n’ont pas manqué de mettre la main sur ce fond rouge à rosaces fleuries, le plus vulgaire des dessins communs. Ce salon n’a pas l’air d’être habité : vous n’y voyez ni livres ni gravures, ni ces menus objets qui meublent les tables, dit-elle en regardant sa table chargée d’objets à la mode, d’albums, des jolies choses qu’on lui donnait. Il n’y a ni fleurs ni aucun de ces riens qui se renouvellent. C’est froid et sec comme mademoiselle Sylvie. Buffon a raison, le style est l’homme, et certes les salons ont un style !

La belle madame Tiphaine continua sa description épigrammatique. D’après cet échantillon, chacun se figurera facilement l’appar-