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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

tation pût la couvrir de ridicule. Ces deux filles, l’une victorieuse de l’autre et sûre de la mener en laisse, inventèrent un de ces traquenards que les femmes conseillées par un prêtre savent si bien apprêter. Consulter monsieur Néraud, le médecin des libéraux, l’antagoniste de monsieur Martener, était une faute. Céleste Habert offrit à Sylvie de la cacher dans son cabinet de toilette, et de consulter pour elle-même, sur ce chapitre, monsieur Martener, le médecin de son pensionnat. Complice ou non de Céleste, Martener répondit à sa cliente que le danger existait déjà, quoique faible, chez une fille de trente ans. — Mais votre constitution, lui dit-il en terminant, vous permet de ne rien craindre.

— Et pour une femme de quarante ans passés ? dit mademoiselle Céleste Habert.

— Une femme de quarante ans, mariée et qui a eu des enfants, n’a rien à redouter.

— Mais une fille sage, très-sage, comme mademoiselle Rogron, par exemple ?

— Sage ! il n’y a plus de doute, dit monsieur Martener. Un accouchement heureux est alors un de ces miracles que Dieu se permet, mais rarement.

— Et pourquoi ? dit Céleste Habert.

Le médecin répondit par une description pathologique effrayante ; il expliqua comment l’élasticité donnée par la nature dans la jeunesse aux muscles, aux os, n’existait plus à un certain âge, surtout chez les femmes que leur profession avait rendues sédentaires pendant longtemps comme mademoiselle Rogron.

— Ainsi, passé quarante ans, une fille vertueuse ne doit plus se marier ?

— Ou attendre, répondit le médecin ; mais alors ce n’est plus le mariage, c’est une association d’intérêts : autrement, que serait-ce ?

Enfin il résulta de cet entretien, clairement, sérieusement, scientifiquement et raisonnablement, que, passé quarante ans, une fille vertueuse ne devait pas trop se marier. Quand monsieur Martener fut parti, mademoiselle Céleste Habert trouva mademoiselle Rogron verte et jaune, les pupilles dilatées, enfin dans un état effrayant.

— Vous aimez donc bien le colonel ? lui dit-elle.

— J’espérais encore, répondit la vieille fille.