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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Ah ! tu cries, et je te prends avec un amoureux au milieu de la nuit ?…

Et elle frappait sans pitié.

— Au secours ! cria Pierrette qui avait le poing en sang.

En ce moment des coups furent violemment frappés à la porte. Également lassées, les deux cousines s’arrêtèrent.

Rogron, éveillé, inquiet, ne sachant ce dont il s’agissait, se leva, courut chez sa sœur et ne la vit pas ; il eut peur, descendit, ouvrit et fut comme renversé par Brigaut, suivi d’une espèce de fantôme. En ce moment même les yeux de Sylvie aperçurent le corset de Pierrette, elle se souvint d’y avoir senti des papiers ; elle sauta dessus comme un tigre sur sa proie, entortilla le corset autour de son poing et le lui montra en lui souriant comme un Iroquois sourit à son ennemi avant de le scalper.

— Ah ! je meurs, dit Pierrette en tombant sur ses genoux. Qui me sauvera ?

— Moi, s’écria une femme en cheveux blancs qui offrit à Pierrette un vieux visage de parchemin où brillaient deux yeux gris.

— Ah ! grand’mère, tu arrives trop tard, s’écria la pauvre enfant en fondant en larmes.

Pierrette alla tomber sur son lit, abandonnée par ses forces et tuée par l’abattement qui, chez une malade, suivit une lutte si violente. Le grand fantôme desséché prit Pierrette dans ses bras comme les bonnes prennent les enfants, et sortit suivie de Brigaut sans dire un seul mot à Sylvie, à laquelle elle lança la plus majestueuse accusation par un regard tragique. L’apparition de cette auguste vieille dans son costume breton, encapuchonnée de sa coiffe, qui est une sorte de pelisse en drap noir, accompagnée du terrible Brigaut, épouvanta Sylvie : elle crut avoir vu la mort. La vieille fille descendit, entendit la porte se fermer, et se trouva nez à nez avec son frère, qui lui dit : — Ils ne t’ont donc pas tuée ?

— Couche-toi, dit Sylvie. Demain matin nous verrons ce que nous devons faire.

Elle se remit au lit, défit le corset, et lut les deux lettres de Brigaut, qui la confondirent. Elle s’endormit dans la plus étrange perplexité, ne se doutant pas de la terrible action à laquelle sa conduite devait donner lieu.

Les lettres envoyées par Brigaut à madame veuve Lorrain l’avaient trouvée dans une joie ineffable, et que leur lecture troubla.