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LA MYE DU ROY.

que sa rivale ruynée. Ains beaucoup eussent aymé ceste ruyne, veu qu’elle feut espousée par ung ieune seigneur, qui feust encores heureux avecques elle, tant elle avoyt d’amour et de feu, à en revendre à celles qui peschent par trop grant frescheur. Ie reprends. Ung iour que la mye du Roy se pourmenoyt par la ville dedans sa lictière, à ceste fin d’achepter des ferrets, lassets, patins, gorgerettes et aultres munitions d’amour, et que tant belle et bien attornée estoyt, que ung chascun, surtout les clercs, la voyant, eussent cru veoir les cieulx ouverts, vécy son bon mary qui vous la rencontre prouche la Croix du Trahoir. Elle, qui boutoyt son pied mignon hors la lictière, rentra vitement la teste comme si elle eust veu un aspic. Elle estoyt bonne femme, car i’en cognoys qui eussent passé fier pour affronter le leur, en grand despect de sa seigneurie coniugale.

— Et qu’avez-vous ? luy demanda monsieur de Lannoy, qui par reverence l’accompagnoyt.

— Ce n’est rien, feit-elle tout bas. Mais ce passant est mon mary. Le paouvre homme est bien changé ! Iadis il ressembloyt à ung singe, mais auiourd’huy ie cuyde qu’il est l’imaige de Iob.

Ce desplourable advocat restoyt esbahy, sentant son cueur se fendre à la veue de ce pied mince et de sa femme tant aymée.

Oyant cela, le sire de Lannoy luy dit en vray goguenard de cour :

— Est-ce raison, pour ce que vous estes son mary, que vous l’empeschiez de passer ?

A ce proupos, elle s’esclata de rire, et le bon mary, au lieu de la tuer bravement, ploura en escoutant ce rire qui luy fendit la teste, le cueur, l’ame et tout, si bien qu’il faillit à tomber sur ung vieulx bourgeoys occupé à se reschauffer le cas en voyant la mye du Roy. L’aspect de ceste belle fleur qu’il avoyt eue en bouton, mais qui lors estoyt espanouïe, odorante, et ceste nature blanche, bien gorgiasée, taille de fée, tout cela rendit l’advocat plus malade et plus fol d’ycelle que aulcunes paroles pourroyent le dire. Et besoing est d’avoir esté yvre d’une bien aymée qui se refuse à vous pour parfaictement cognoistre la raige de cet homme. Encores est-il rare d’estre aussy chauldement enfourné que pour lors il estoyt. Il iura que vie, fortune, honneur et tout y passeroyt, mais que, une foys au moins, il seroyt chair à chair avecques elle, et feroyt si grant resgal d’amour, que il y lairroyt peut-estre sa fressure et ses reins.