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L’HÉRITIER DU DIABLE.

— Ho bien ! monsieur mon oncle, Dieu seroyt bien nigaud de laisser dans cettuy monde, qu’il ha si curieusement basty, ung abominable diable espécialement occupé à luy guaster tout… Foin ! ie ne recognoys point le diable, s’il y ha ung bon Dieu… Fiez-vous là-dessus. Ie vouldroys bien veoir le diable !… Ha ! ie n’ay point paour de ses griphes…

— Ah ! si i’estoys dans ta fiance, ie n’auroys nul soulcy de mes ieunes ans, où ie confessoys bien dix foys par chascun iour…

— Confessez encores, monsieur le chanoine !… Ie vous affirme que ce seront mérites prétieux là-hault.

— La ! la ! est-ce vray ? …

— Oui, monsieur le chanoine.

— Tu ne trembles point, Chiquon, de nier le diable ? …

— Ie m’en soulcie comme d’une gerbe de feurre ! …

— Il t’adviendra du desplaisir de ceste doctrine.

— Nullement ! Dieu me deffendra bien du diable, pour ce que ie le croy plus docte et moins beste que le font les savans.

Là-dessus, les deux aultres nepveux entrèrent, et, recognoissant à la voix du chanoine qu’il ne haïoyt point trop Chiquon, et que les doléances qu’il faisoyt à son endroict estoyent de vrayes cingeries pour desguiser l’affection qu’il luy portoyt, se resguardèrent bien estonnez.

Puis, voyant leur oncle en train de rire, ils luy dirent :

— Si vous veniez à tester, à qui lairriez-vous la maison ?

— A Chiquon.

— Et les censives de la rue Sainct-Dènys ?

— A Chiquon.

— Et le fief de Ville-Parisis ?

— A Chiquon.

— Mais, feit le capitaine de sa grosse voix, tout sera doncques à Chiquon ?

— Non, respondit le chanoine en soubriant, pour ce que i’auray beau tester en bonne forme, mon héritaige sera au plus fin de vous trois. Ie suis si près de l’advenir, que i’y veois lors clairement vos destins.

Et le rusé chanoine gecta sur Chiquon ung resguard malicieux, comme auroyt pu faire une linotte coëffée à ung mignon pour l’attirer en son clappier. Le feu de cet œil flambant esclaira le bergier, qui, dès ce moment, eut l’entendement, les