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CONTES DRÔLATIQUES.

des vestemens d’homme noble au fils du queux, lequel est fol de moy et m’ennuye bien fort, puis, que l’ayant ainsy accoustré, nous le boutions dehors par la poterne ?

Là-dessus, les deux femmes s’entre-resguardèrent d’ung œil assassin en diable.

— Ce guaste-saulce, reprint-elle, une foys occiz, tous ces souldards s’envoleroyent comme des grues.

— Oui, mais le comte ne recoignoistra-t-il pas le marmiteux ? Et la comtesse, se congnant au cueur, s’escria en branslant le chief :

— Non ! non ! ma mye, icy, c’est du sang noble qu’il faut verser, sans espargne aulcune.

Puis elle pensa ung petit, et, saultant de ioye, elle accolla tout à coup la lavandière en disant :

— Pour ce que i’ay saulvé mon amy par ton conseil, ie te solderay ceste vie iusques à ta mort.

Sur ce, la comtesse seichia ses pleurs, se feit ung visaige de fiancée, print son aumosnière, son livre d’Heures, et devalla vers l’ecclise de Sainct-Pol, dont elle entendoyt sonner les cloches, veu que la darrenière messe alloyt se dire. Ores, à ceste belle dévotion ne failloyt iamais la connestable, en femme noiseuse comme toutes les dames de la Court. Aussy nommoyt-on ceste messe la messe attornée, pour ce que il ne s’y rencontroyt que muguets, beaulx fils, ieunes gentilshommes et femmes bien gorgiasées de haults perfums : brief, il ne s’y voyoyt point de robbes qui ne feussent armoiriées, ni d’esperons qui ne feussent dorez.

Doncques, la comtesse Bonne s’y departit, laissant à l’hostel la buandière bien esbahie et enchargiée d’avoir l’œil au grain ; puis, vint en grant pompe à la paroisse, accompaignée de ses paiges, de deux enseignes et gens d’armes.

Il est occurrent de dire que, parmy la bande de iolys chevaliers qui frétilloyent dans l’ecclise autour des dames, la comtesse en avoyt plus d’ung dont elle faisoyt la ioye, et qui s’estoyt adonné de cueur à elle, suivant la coustume du ieune aage, où nous en couchions tant et plus sur nos tablettes, seulement à ceste fin d’en conquester au moins une sur le grant numbre.

De ces oyseaulx de fine proye, lesquels ouvroyent tousiours le bec et resguardoyent plus souvent à travers les bancs et les patenostres que devers l’autel et les prebstres, il y en avoyt ung auquel la comtesse faisoyt par foys l’aumosne d’ung coup d’œil,