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CONTES DRÔLATIQUES.

— Par le sang du Christ et le plus mignon de vostre fille, ne suis-je point gentilhomme ? Ma parole vault le ieu.

— Ah bien, ie ne dis non, mon seigneur ; mais, aussy vray que ie suis une paouvre filandière, i’ayme trop ma fille pour la quitter. Elle est trop ieune et foible encores, elle se romproyt au service. Hier, au prosne, le curé disoyt que nous respondrons à Dieu de nos enfans.

— La ! la ! feit le seigneur, allez quérir le notaire.

Ung vieulx buscheron courut au tabellion, lequel vint et dressa bel et bien ung contract, auquel le sire de Valesnes mit sa croix, ne saichant point escribre : puis, quand tout feut scellé, signé :

— Eh bien, la mère, dit-il, ne respondez-vous doncques plus du pucelaige de vostre fille à Dieu ?

— Ah ! mon seigneur, le curé disoyt : « Iusques à l’aage de raison, » et ma fille est bien raisonnable.

Lors, se tournant vers elle : — Marie Ficquet, reprint la vieille, ce que tu as de plus chier est l’honneur, et, là ou tu vas, ung chascun, sans compter mon seigneur, te le vouldra tollir ; mais tu veois tout ce qu’il vault ! … Par ainsi, ne t’en deffais qu’à bon escient et comme il faut. Ores, pour ne point contaminer ta vertu devant Dieu et les hommes (à moins de motifs légitimes), aye bien soing, par advance, de faire saupouldrer ung petit ton cas de mariaige ; aultrement, tu iroys à mal.

— Oui, ma mère, feit la pucelle.

Et là-dessus elle sortit du paouvre logiz de son parent, et vint au chasteau de Valesnes, pour y servir la dame, qui la treuva fort iolie et à son goust.

Quand ceulx de Valesnes, Saché, Villaines et aultres lieux, apprindrent le hault prix donné de la pucelle de Thilhouze, les bonnes femmes de mesnaige, recognoissant que rien n’estoyt plus prouffictable que la vertu, taschèrent d’élever et nourrir toutes leurs filles pucelles ; mais le mestier feut aussy chanceux que celuy d’éducquer les vers à soye, si subiects à crever, veu que les pucelaiges sont comme les neffles et meurissent vite sur la paille. Cependant il y eut quelques filles, pour ce, notées en Touraine, et qui passèrent pour vierges dans tous les convens de religieux, ce dont ie ne vouldroys point respondre, ne les ayant point vérifiées en la manière enseignée par Verville pour recognoistre la parfaicte vertu des filles. Finablement, Marie Ficquet suyvit le saige advis de sa mère, et ne voulut entendre aulcune des doulces requestes,