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LES CONTES DRÔLATIQUES.

qui vous devez marcher comme sur ung tapis. Mon cueur est vostre throsne.

— Non, amy, car ta voix me transfige.

— Vostre resguard me brusle.

— Ie ne veois que par toy.

— Ie ne sens que par vous.

— Oh bien, mets ta main sur mon cueur, ta seule main, et tu vas me veoir paslir quand mon sang aura prins la chaleur du tien.

Alors, en ces luctes, leurs yeulx, desià si ardens, s’enflammoyent encores ; et le bon chevalier estoyt ung peu complice du bonheur que prenoyt Marie d’Annebault à sentir cette main sur son cueur. Ores, comme dans ceste legiere accointance se bendoyent toutes ses forces, se tendoyent tous ses dezirs, se resolvoyent toutes ses idées de la chouse, il luy arrivoyt de se pasmer trez bien et tout à faict. Leurs yeulx plouroyent des larmes bien chauldes, ils se saisissoyent l’ung de l’autre en plein, comme le feu prend aux maisons ; mais c’estoyt tout ! De faict, Lavallière avoyt promis de rendre sain et sauf à son amy le corps seulement et non le cueur.

Lorsque Maillé feit sçavoir son retourner, il estoyt grantement temps, veu que nulle vertu ne pouvoyt tenir à ce mestier de gril ; et, tant moins les deux amans avoyent de licence, tant plus ils avoyent de iouissance en leurs phantaisies.

Laissant Marie d’Annebault, le bon compaignon alla au-devant de son amy iusques au pays de Bondy, pour l’ayder à passer les bois sans male heure ; et, lors, les deux frères couchièrent ensemble, suyvant la mode anticque, dans le bourg de Bondy.

Là, dedans leur lict, ils se racontèrent, l’ung ses adventures de voyaige, l’aultre les cacquets de la Court, histoires guallantes, et cætera. Mais la première requeste de Maillé feut touchant Marie d’Annebault, que Lavallière iura estre intacte en cet endroict pretieux où est logié l’honneur des marys, ce dont Maillé l’amoureux feut bien content.

Lendemain, ils feurent tous trois réunis, au grand despit de Marie, qui, par la haute iurisprudence des femelles, festoya bien son bon mary, mais du doigt elle monstroyt son cueur à Laval-