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LES TROIS CLERCS.

des apprentifs en chicquane, dans qui se trouvoyt plus d’estoffe à faire des larrons que des saincts, et sçavoyent bien desia iusques où possible estoyt d’aller sans se prendre en la chorde des haultes œuvres, eurent intention de soy divertir et vivre, en condamnant quelques merchans forains ou aultres en tous les dépens. Doncques, ces escholiers du diable faulsèrent compaignie à leurs procureurs, chez lesquels ils estudioyent le grimoire en la ville d’Angiers, et vindrent de prime abord se logier en l’hostel des Trois-Barbeaulx, où ils voulurent les chambres du légat, mirent tout sens dessus dessoubz, feirent les desgoutez, retindrent les lamproyes au marché, s’annoncèrent en gens de hault négoce, qui ne traisnoyent point de marchandises avecques eulx, et voyageoyent seuls de leur personne. L’hoste de trotter, de remuer les broches, de tirer du meilleur, et d’apprester ung vray disner d’advocats à ces trois congne-festu, lesquels avoyent ià despensé du tapaige pour cent escuz, et qui, bien pressurez, n’auroyent pas tant seulement rendu douze sols tournoys que l’ung d’eulx faisoyt fretiller en sa bougette. Mais, s’ils estoyent desnuez d’argent, point ne manquoyent d’engin, et tous trois s’entendirent à iouer leur roole comme larrons en foyre. Ce feut une farce où il y eut à boire et à mangier, veu que ils se ruèrent pendant cinq iours tant et si bien sur les provisions de toute sorte, qu’ung party de lansquenets en eust moins guasté qu’ils n’en frippèrent. Ces trois chats fourrez dévalloyent en la foyre après désieuner, bien abreuvez, pansez, pansus ; et là tailloyent en plein drap sur les becsiaunes et aultres, robbant, prenant, iouant, perdant ; despendant les escripteaux ou enseignes et les changeant, mettant celluy de bimbelotier à l’orphebvre et de l’orphebvre au cordouanier ; gectant de la pouldre ez bouticques, faisant battre les chiens, coupant la bride aux chevaulx attachez, laschant des chats sur les gens assemblez ; criant au voleur ou disant à chascun : « Estes-vous pas monsieur d’Entrefesse d’Angiers ? » Puis ils donnoyent des poulsées au monde, faisoyent des trouées aux sacs de bled, cherchoyent leur mouschenez en l’aumosnière des dames, et en relevoyent les cottes, plourant, questant ung ioyau tombé, et leur disant :

— Mes dames, il est dans quelque trou !

Ils esguaroyent les enfans, se tappoyent en la panse de ceulx qui béoyent aux corneilles, ribloyent, escorchioyent et conchioyent tout. Brief, le diable eust esté saige en comparaison de ces dam-