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AVERTISSEMENT.

âge où les hommes d’une pensée exubérante se grisent d’eux-mêmes et sont comme les Bacchantes de leurs propres facultés, Balzac voulut ressusciter une langue et une inspiration du passé. Il imita Rabelais comme d’autres avaient imité Ronsard, et il écrivit ses Contes drolatiques en cette langue merveilleuse du seizième siècle, touffue, feuillue, verdissante et rayonnante dans ses obscurités, aurore du Corrége qui se lève à travers les riches épaisseurs d’un bois sacré !

Telle fut la pensée de Balzac et telle est son œuvre. C’est de l’archéologie littéraire faite de bonne foi et sans recourir aux machiavélismes des archéologues littéraires, les Macpherson, les Chatterton et tant d’autres. Balzac, à un jour donné, a cru qu’il était bon, soit dans l’intérêt de sa propre pensée, soit dans un intérêt plus général et plus élevé, d’imiter des modèles dont on s’était peut-être trop détourné dans ces derniers temps, et il s’est trouvé que ce grand linguiste, qui aimait la langue française comme on aime une personne, a fait une œuvre d’imitation prodigieuse qui vaut un livre original. Cet artiste désintéressé de tout, excepté de la beauté possible, de la beauté cherchée après laquelle il courait un flambeau à la main, comme le coureur antique, a versé dans les moules vidés de Rabelais, de Montaigne, de Régnier, son jeune sang tout bouillant de génie, et transfusé sa sève inspirée. Ni ceux qui aiment l’esprit pour sa propre force, ni ceux qui l’aiment pour les voluptés qu’il nous donne, ni enfin ceux qui l’aiment pour les services rendus à la langue et à la forme littéraire, ne pouvaient laisser dépérir les Contes drolatiques, et voilà pourquoi nous en avons offert une édition nouvelle au public.

La première nous avait paru indigne et insuffisante, indigne du génie de l’auteur, qui, nous le répétons, considérait ses Contes et les choyait comme son plus difficile chef-d’œuvre ; insuffisante avec le nombre croissant de ses admirateurs et l’étendue de sa renommée. Œuvre à part de la Comédie humaine, œuvre d’exception, nous l’avons traitée exceptionnellement, et nous avons voulu que l’écrin fût digne de la perle. Pour cela, rien ne nous a coûté. Un jeune artiste, inventeur à sa manière, comme Balzac l’est à la sienne dans ses Contes, M. Gustave Doré, s’est inspiré de Balzac, ainsi que Balzac s’était inspiré de Rabelais et de Boccace tout ensemble, et il nous a donné, à son tour, les Contes drolatiques sous une forme nouvelle, la forme plastique, qui fait rentrer dans l’esprit, par les yeux, l’image déjà évoquée. L’illustration, cette parure des livres, donnera à celui-ci son luxe et devra en populariser le succès.

Août 1855.