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CONTES DRÔLATIQUES.

— Ho ! non, ie me suis faicte libre ! respondit-elle en brandissant son fer agu.

Le braguard se print à rire.

— N’ayez pas paour, feit-il. Ie sçauray bien vous plongier en les bourbiers où vont les porticqueuses et dont vous foignez.

— Iamais, moy vivante !

— Vous irez en plein, reprint-il, et des deux pieds, des deux mains, de vos deux tettins d’ivoire, de vos deux aultres chouses blanches comme neige, de vos dents, de vos cheveulx et de tout ! … Vous irez de bonne veulenté, bien lascivement et à briser vostre chevaulcheur comme feroyt une hacquenée enraigée qui casse sa cropière, piaffant, saultant et pétarradant ! Ie le iure par sainct Castud !

Et tost il siffla pour faire monter ung paige. Puis, le paige venu, secrettement luy commanda d’aller quérir le sire d’Hocquetonville, Savoisy, Tanneguy, Cypierre et aultres ruffians de sa bande, les invitant à souper céans, non sans, eulx conviez, requérir aussy quelques iolies chemises pleines de belle chair vifve.

Puis revint se seoir à la chaire, à dix pas de la dame, laquelle il n’avoyt cesse de guigner, en faisant à voix muette ses commandemens au paige.

— Raoul est ialoux, dit-il. Alors ie vous doibs ung bon advis… En ce réduict, feit-il monstrant ung huys secret, sont les huiles et senteurs superfines de la Royne. En ceste aultre petit bouge, elle faict ses estuveries et vacque à ses obligations de femme. Ie sçais, par mainte expérimentation, que ung chascun de vos gentils becs ha son perfum espécial à quoy il se sent et est recogneu. Lors, si Raoul ha, comme vous dictes, une ialousie estranglante, ce qui est la pire de toutes, vous userez de ces senteurs de bourbeteuse, puisque bourbier y ha.

— Ha ! mon seigneur, que prétendez-vous ?

— Vous le sçaurez en l’heure où besoing sera que vous en soyez informée. Ie ne vous veulx nul mal, et vous baille ma parole de loyal chevalier que ie vous respecteray trez-fort et me tairay sempiternellement sur ma desconfiture. Brief, vous cognoistrez que le duc d’Orléans ha bon cueur et se venge noblement du mespris des dames en leur donnant en main la clef du paradiz. Seulement, prestez l’aureille aux paroles ioyeulses qui se desbagouleront en la pièce voisine, et sur toutes chouses ne toussez point, si vous aymez vos enfans.