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LE DANGIER D’ESTRE TROP COCQUEBIN.

à la mariée : — Combien de pains vous ha prins vostre mary sur la fournée ? — Vingt et quatre, feit-elle.

Ores, comme s’en alloyt triste le sieur marié, ce qui faisoyt grant poine à sa femme, laquelle le suyvoyt de l’œil en espoir de veoir finer son cocquebinage, les dames cuydèrent que la ioye de ceste nuict luy coustoyt chier, et que ladicte mariée avoyt ià grant repentance de l’avoir piéça ruyné. Puis, au desieuner de nopces, vindrent les maulvais brocards, qui, en ce temps, estoyent dégustez comme excellens. Ung disoyt que la mariée avoyt l’air ouvert ; ung aultre, que il s’estoyt faict de bons coups ceste nuict dans le chasteau ; cettuy-cy, que le four avoyt bruslé ; cettuy-là, que les deux familles avoyent perdu quelque chouse cette nuict que elles ne retrouveroyent point. Et mille autres bourdes, coq-à-l’asne, contrepeteries, que, par maulvais heur, ne comprint point le mary. Mais, veu la grant affluence de parens, voisines et aultres, nul ne s’estoyt couchié, tous avoyent dancé, ballé, rigollé, comme est coustume ez nopces seigneuriales.

De ce feut content mon dict sieur de Braguelongne, auquel ma dame d’Amboise, vermillonnée par le pensier des bonnes chouses qui advenoyent à sa fille, gectoyt au lieutenant de son chastelet des resguards d’esmerillon en matière d’assignations guallantes. Le paouvre lieutenant civil, se cognoissant en recors et sergens, luy qui happoyt les tirrelaines et maulvais garsons de Paris, feignoyt de ne point veoir son heur, encores que sa vieille dame l’en requestast. Mais comptez que ceste amour de grant dame luy poisoyt bien fort. Aussy ne tenoyt-il plus à elle que par esperit de iustice, pour ce que il n’estoyt point séant à ung lieutenant criminel de changier de maistresse comme à ung homme de Court, veu que il avoyt en charge les mœurs, la police et la religion. Ce néantmoins sa rébellion debvoyt finer. Lendemain des nopces, bon numbre de conviez se despartirent. Lors, madame d’Amboise, monsieur de Braguelongne et les grants parens purent se couchier, leurs hostes descampez. Doncques, approuchant le souper, le sieur lieutenant alloyt recepvoir sommations à demy verbales auxquelles il n’estoyt point séant, comme en matière processive, d’opposer aulcunes raisons dilatoires.

Paravant de souper, la dicte dame d’Amboise avoyt faict des aguasseries, plus de cent, à ceste fin de tirer le bon Braguelongne de la salle où il estoyt avecques la mariée. Mais yssit, au lieu et place du lieutenant, le marié, pour se pourmener en la compai-